« Les Prud ? hommes sont adaptés aux conflits du travail, le droit ne l ? est pas »

A l?occasion de son bicentenaire, le Conseil de Prud?hommes de Marseille a organisé vendredi dernier un colloque. Au programme, avenir et enjeux de l?institution.

Pierre Grand-Dufay, président du conseil de Prud'hommes de Marseille 
Méridien Mag : Quelle est la problématique actuelle ?
Pierre Grand-Dufay : Plusieurs questions se posent. Le règlement des conflits individuels du travail doit-il continuer à être traité par des juges non professionnels ? En Europe, seule la France procède ainsi, les autres pays ont confié cette matière aux juges professionnels ou ont adopté le principe de l'échevinage (un juge professionnel et deux conseillers venant du monde du travail). D'autre part, lors des élections des conseillers prud'hommes, la participation est inférieure à 20 % et ces élections coûtent plusieurs dizaines de millions d'euros. Il faudrait changer le mode d'élection, mais lequel choisir : élection par de grands électeurs (comité d'entreprises, délégués syndicaux) ? Désignation par les syndicats en fonction de leur représentativité ? ou...

Méridien Mag : Selon le ministère de la Justice, plus de 170.000 affaires et environ 45.000 référés sont jugés chaque année. La moitié concernent la rupture du contrat de travail et 40 % le non règlement de salaires ou de primes. Qu'est-ce que cela dit de l'entreprise d'aujourd'hui ?

Pierre Grand-Dufay : Le monde de l'entreprise considère que le prud'homme est un tribunal adapté aux conflits du travail. A contrario, le droit du travail ne l'est pas, trop contraignant, lourd et procédural pour les PME et impossible à respecter par les TPE, artisans et commerçants. La moindre erreur de formalisme ou de délai peut aboutir à considérer le licenciement comme abusif. De plus, la cour de cassation, qui dicte les évolutions avec sa jurisprudence, est complètement déconnectée de la réalité du monde du travail. Prenons un exemple parmi tant d'autres : la médecine du travail déclare un salarié inapte définitivement et à tous les postes de l'entreprise. L'employeur procède donc à son licenciement. Mais la cour de cassation considère que ce licenciement est nul si l'employeur n'a pas tenté de reclasser le salarié ! Pire, si l'enteprise le reclassait et que le salarié avait un accident, elle serait pénalement condamnée...

Méridien Mag : 90 % des affaires feraient l'objet d'une procédure devant le bureau de jugement, ce qui signifie qu'il n'y a pas eu de première conciliation. Qu'est ce qui ne fonctionne pas ?
Pierre Grand-Dufay : Sur 200 000 affaires par an, environ 100 000 font l'objet d'une audience de jugement. La conciliation fonctionne très bien mais quand les parties se retrouvent devant notre conseil en conciliation, c'est trop tôt. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un contexte émotionnel fort car quand un salarié est licencié, il perd aussi sa confiance en lui, sa considération, sa place dans notre société. Il faut plus de temps et de discussions pour qu'il soit plus enclin à concilier.

Méridien Mag : Vous êtes au conseil des Prud'hommes depuis 18 ans : quelles sont les grands évolutions dans la nature des contentieux ?
Pierre Grand-Dufay : En 18 ans, j'ai assisté à une complexité grandissante de notre droit, impossible à appliquer sans y consacrer beaucoup de temps, et à une évolution du nombre de contentieux pour harcèlement et discrimination.

Propos recueillis par Adeline Descamps

Photo : Le Conseil de Prud'hommes de Marseille a fêté ses 200 ans

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