Sophia-Antipolis : pourquoi cela marche encore

Bientôt cinquantenaire, secouée par les aléas économiques, mais bien perçue à l'étranger et toujours créatrice d'emplois, la première technopole européenne a fait preuve de sa résilience. Retour sur une belle histoire qui a de l'avenir.

Sophia-Antipolis n'est plus Sophia-Antipolis. Ici et là, c'est ce qui se murmure ou se dit haut et fort : Sophia-Antipolis a changé, ne ressemble plus au concept imaginé en 1969 par le sénateur Pierre Laffitte, pour qui elle devait être lieu de créativité poussée. Il faut dire qu'en plus de quarante ans, le contexte économique et, plus largement, le monde ont changé. Et si Sophia-Antipolis n'est plus Sophia-Antipolis, finalement n'est-ce pas bien normal ?

Pourtant Sophia-Antipolis, c'est encore Sophia-Antipolis.

Dans le fond, la « fertilisation croisée » chère à son père fondateur fait toujours partie de l'ADN de ces 2.400 hectares répartis sur cinq villes différentes - Antibes, Biot, Valbonne, Mougins et Vallauris - ce qui, pour d'autres raisons, ne facilite pas toujours la fluidité ni la compréhension. La fertilisation croisée, formule devenue célèbre, c'est cette capacité à réunir en un même lieu entreprises, laboratoires de recherche, université, startups, industriels... Une façon d'envisager les rapports les uns avec les autres qui était alors vraiment novatrice.

À Sophia-Antipolis, il y a la locomotive Amadeus, des PME qui se développent, une myriade de startups, le CNRS, l'université, un fab lab... tout ce qu'il faut, donc, pour entreprendre heureux, avec les bonnes ramifications. Et pour donner envie à des entreprises de venir s'installer sous le ciel azuréen, attirées par les compétences, l'image de la technopole, le foisonnement d'acteurs ou tout simplement l'opportunité, contribuant à renforcer son caractère international. La preuve, les sociétés à capitaux étrangers, c'est 188 entreprises représentant 25 % des emplois du parc.

L'étude menée récemment par la chambre de commerce et d'industrie Nice-Côte d'Azur dresse un profil dynamique de la technopole. Avec 36.300 emplois, 2.230 établissements et un chiffre d'affaires de 5,6 milliards d'euros, Sophia-Antipolis représente 8,5 % des emplois de tout le département des Alpes-Maritimes et 8,5 % du chiffre d'affaires du secteur privé sur le même périmètre. Il y a pire, pour un territoire qui serait en train de s'étioler...

L'annonce de l'arrivée de Renault, officialisée en mai dernier, doit être prise comme un indicateur, le constructeur français étant intéressé par une partie des équipes d'Intel (qui ferme ses portes) - celles dédiée au logiciel embarqué - mais aussi par l'écosystème local, comme l'expliquait alors à La Tribune Alexandre Corjon, à la tête de la direction Ingénierie systèmes et futur directeur de la filiale spécialement créée suite à cette reprise. L'Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), Eurecom et l'Institut méditerranéen du risque, de l'environnement et du développement durable (Imredd) pour le rapprochement avec l'Université Nice Sophia-Antipolis, sont des partenaires potentiels.

« Nous voulons accroître notre capacité d'innovation », dit-on chez Renault.

Ou quand le concept de fertilisation croisée vit encore... D'ailleurs, l'entreprise dirigée par Carlos Ghosn n'est pas le seul acteur du secteur automobile présent sur la technopole. Bosch y a déjà installé son centre de R & D dédié au véhicule autonome en juin 2015. Et la rumeur fait état de prochaines arrivées, toujours sur ce sujet de mobilité du futur. Une nouvelle spécialisation pour Sophia-Antipolis ?

Mutation technologiques

Et de fait, « la microélectronique a disparu. Sophia-Antipolis s'est réinventée », analyse Pascal Flamand, dirigeant des entreprises Janua et SemanticExperts et ancien président de Telecom Valley, l'association des acteurs du numérique azuréen, présent sur le territoire sophipolitain depuis plus de quinze ans.

« Dans les années 1990, c'était une belle technopole avec Thomson, Digital, l'Inria... Plusieurs grands groupes étaient présents, puis ils ont disparu, après le premier crack des années 2000. D'autres se sont créés ensuite. Sophia-Antipolis fait preuve d'une belle résilience, elle a connu des périodes complexes. Outre le début des années 2000, la période 2010-2012 a également été compliquée. Mais ses deux principaux atouts, ce sont la technicité des compétences disponibles sur place et des entreprises taillées pour être présentes à l'international. »

Spécialisée dans la gestion et la maîtrise des risques stratégiques et opérationnels, Risk Attitude a déménagé de Nice pour SophiaAntipolis il y a près de deux années. Un déplacement de quelques kilomètres seulement, mais qui change tout en termes d'image... surtout à l'international. « Sophia-Antipolis est un nom connu à l'étranger », souligne son PDG David Museur.

« Et pour les entreprises technologiques, c'est l'endroit rêvé en termes d'écosystème. De même, les jeunes développeurs que nous recrutons acceptent plus facilement de venir travailler à Sophia-Antipolis qu'à Nice. »

Réservoir en matière de foncier, position géographique qui la place quasiment à équidistance du département voisin du Var et des autres villes des Alpes-Maritimes que sont Nice, Antibes, Grasse et Cannes, la technopole est pour Emmanuel Souraud, directeur associé de l'agence Wacan et élu à la CCI, bourrée « de potentiel », un parc auquel « il faut continuer de croire très fort ». Pas moins enthousiaste mais plus versé dans la prospective, Pascal Vignon, l'actuel coprésident de Telecom Valley interroge : « Amadeus est aujourd'hui la locomotive, elle fait travailler beaucoup de sous-traitants, mais que se passe-t-il si elle s'enrhume ? Il est important de faire venir d'autres grandes entités. De la même façon, la dynamique des startups va-t-elle se poursuivre ? » s'interroge celui qui dirige Agilitech et alors même que l'étude menée par la chambre consulaire note que les jeunes pousses sophipolitaines ont levé 104 millions d'euros via 13 levées de fonds en 2015.

Étienne Delhaye, le directeur exécutif de Sophia Club Entreprises qui regroupe les dirigeants présents sur la plateforme ne dit pas autre chose.

« Plusieurs projets d'infrastructures - de bureaux notamment - sont lancés, pour une surface de l'ordre de 450.000 m2. La question est de savoir exactement ce que l'on va y mettre. Même si c'est déjà engagé, il faut davantage de frictions entre le monde industriel et la recherche. Sophia-Antipolis a toujours une carte à jouer. »

C'est aussi ce que dit Jean-François Carrasco.

Vice-président de la commission développement économique du conseil de développement de la CASA [la communauté d'agglomération qui couvre le territoire sophipolitain et qui « gère » la technopole, ndlr], il remarque que « Sophia-Antipolis est un territoire qui a tendance à insister. Son avenir est positif, il y a ici une capacité à la résilience. Et Sophia-Antipolis est inspirante, il n'y a pas de degré de nuisances, les entreprises qui se créent ici essaiment. La qualité de vie, l'environnement académique font la différence. Mais elle doit être encore plus accueillante, plus ouverte au niveau académique, l'université doit être encore plus présente.»

Les défis à relever

Bref il faut appuyer sur les atouts et profiter de la dynamique actuelle pour encore davantage affirmer le titre de première technopole d'Europe. Car il reste des défis à relever. Celui de la gouvernance a longtemps été une pierre d'achoppement. Désormais, c'est la communauté d'agglomération qui est le « patron ».

Son président, Jean Leonetti, reconnaît un déficit de communication qu'il faut rattraper. Une autre image à l'international qu'il faut affûter. Même la Fondation Sophia-Antipolis, créée par le sénateur Pierre Laffitte à la naissance de la technopole, devenue entre-temps un acteur moribond, est en train de vouloir prendre une place - complémentaire - dans le schéma du rayonnement. C'est en tout cas le voeu exprimé par Philippe Mariani, le responsable de la stratégie et du développement, ancien assistant parlementaire de Pierre Laffitte, parti à l'étranger et revenu sur le sol azuréen en 2015. Conduire des levées de fonds pour financer les projets structurants et contribuer au rayonnement international sont les deux principaux axes de la nouvelle feuille de route.

« La Fondation est perçue comme une porte d'entrée de l'international et nous devons capter ce potentiel, qui est le résultat de l'image de Sophia-Antipolis depuis plus de quarante ans. Aujourd'hui, Sophia-Antipolis, ce n'est pas toujours évident, mais c'est un lifestyle, c'est une trajectoire d'innovation qui doit être appréhendée, sinon on ne comprend pas ce qu'est Sophia-Antipolis. »

Ni une belle endormie, ni un conte de fées perpétuel, mais un territoire qui renaît régulièrement de ses cendres et qui ne perd pas sa capacité à séduire. D'autres technopoles - on pense notamment au plateau de Saclay - ne peuvent en dire autant. L'innovation demande une recherche constante d'amélioration et la capacité à faire pivoter son business model.

Sophia-Antipolis - entreprises : même combat !

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