Quel est l'intérêt du corporate venture ?

A l’heure où les entreprises innovantes sont plus que jamais sous la lumière des projecteurs, les grands corporates veulent aussi être un "acteur de l’écosystème".

Orange Fab, WAI Paris (BNP Paribas), Lab VINCI Autoroutes, La Javanese (Eurogroup Consulting),... : incubateurs, accélérateurs ou simples espaces de co-working, les structures d'accompagnement d'entreprises innovantes créées par de grands groupes fleurissent en France. Dans les pas des plus grands, des ETI comme Ingenico, Naturex ou Randall se lancent dans l'"open innovation" : au contact de structures plus agiles, elles accélèrent leur développement sur des marchés qui évoluent de plus en plus vite. Mais les grandes entreprises n'en restent pas là et l'année 2016 aura été marquée par la forte présence du corporate venture dans les levées de fonds : la MAIF et le Crédit Agricole sont dans le Top 5 des investisseurs les plus actifs en France. Le cabinet d'études CBS Insights va jusqu'à dire que ces acteurs pourraient prendre le relai des fonds d'investissements classiques dont, au niveau mondial, la croissance de l'activité s'essouffle. Pourquoi cet engouement pour financer des entreprises risquées ? Au-delà d'un souci d'image, les grandes entreprises y trouvent un intérêt financier et surtout stratégique qui profite aux porteurs de projets innovants. Une relation gagnant-gagnant donc ? Certainement, si les objectifs de chacun sont clairs et les relations bordées.

Pas nouveau

Le corporate venture n'est pas nouveau : en 1914, DuPont réalisait un investissement risqué dans une jeune société qui s'appelait General Motors. En 2007, Microsoft investissait 240 millions de dollars pour 1,6 % de Facebook : la valorisation de cette start-up à 15 milliards de dollars semblait absurde ; elle est pourtant valorisée 300 milliards aujourd'hui. En 2016, au niveau mondial, le corporate venture représente près de 16 milliards de dollars, soit 15 % des levées de fonds.

La définition du corporate venture est relativement large : "investissement d'une entreprise dans une autre, typiquement la prise de participation d'une grande entreprise dans une jeune PME innovante. (...) Le corporate venture recouvre aussi bien des investissements directs d'une entreprise dans une autre, que des investissements indirects, via des fonds dans lesquels des entreprises investissent et donnent mandat à une équipe de gestion..."

Quel est l'objectif des Investisseurs Corporates ?

Comme pour n'importe quel investisseur, il y a bien sûr une motivation financière avec l'attente d'un retour sur investissement, auquel vient s'ajouter l'intérêt du dispositif fiscal mis en place depuis le 3 septembre 2016 qui devrait motiver plus d'ETI à entrer sur ce marché : les investissements des entreprises dans des PME innovantes, peuvent être amortis sur 5 ans s'ils représentent au maximum 20 % du capital des PME financées et moins d'1 % des actifs de l'investisseur. Selon le gouvernement, cette mesure devrait permettre d'injecter au moins 700 millions d'euros dans les entreprises innovantes en 2017. Les bénéfices financiers sont cependant loin d'être le seul intérêt que présentent ces investissements pour les grandes entreprises. Les grands groupes pharmaceutiques l'ont compris depuis longtemps : Merk, Sanofi, Roche, Lilly ou encore Novartis se sont tous dotés de fonds d'investissements (1milliard d'euros pour le seul Novartis Venture Fund) qui leur permettent de financer, à moindre frais qu'en interne, des projets de recherche prometteurs, mais dont les bénéfices à terme ne sont jamais certains. Investir dans une entreprise innovante peut donc être un moyen d'externaliser la R&D. Plus généralement, ces investissements répondent souvent à une stratégie de veille des grandes entreprises pour identifier des relais de croissance - innovations produits, évolution des marchés et nouveaux business modèles, avant d'éventuellement envisager de les incorporer. Certains y voient aussi un moyen de "donner un coup de jeune" aux grandes organisations très éloignées du mode de fonctionnement flexible et agile des petites entreprises innovantes.

Et pour les sociétés financées ?

Quel que soit l'accompagnement proposé par les sociétés de gestion aux entreprises de leur portefeuille, un investisseur corporate peut faire plus : avoir accès aux actifs d'un grand groupes permet de gagner beaucoup de temps sur les phases de test et de go-to-market, la vitesse étant critique pour une entreprise innovante. Avoir un tel investisseur au capital assoit la crédibilité, donne accès à des marchés pour valider la technologie et à des ressources "inaccessibles" (distribution, technologie, fournisseurs,...). L'investisseur peut également apporter un appui opérationnel (logistique, administration,...) ou marketing à l'exemple de Spotify dont le logo a figuré sur les canettes de Coca-Cola.  Un autre atout du corporate venture réside dans la durée des investissements avec des structures de financement souvent « evergreen », c'est à dire sans limitation de durée, qui permettent de prolonger l'accompagnement au-delà de l'horizon 5-7 ans des fonds classiques de capital risque.

Des relations pas sans risque

Pour l'investisseur corporate qui investit, il s'agit d'être clair sur ce qui est attendu de l'investissement et sur la possibilité d'un échec. Est-on dans une logique de recherche externalisée, comme c'est le cas des groupes pharmaceutiques, d'accélération du développement, comme BTI (Bouygues) avec Invities, d'accès à un autre marché, comme Cisco avec ipaccess, d'élargissement de la chaîne de valeur, comme Total qui investit dans le stockage électrique ou simplement d'image ? Pour l'entreprise innovante, les risques sont évidents depuis les "incompatibilités culturelles" liées aux lourdeurs des process jusqu'à la perte de l'innovation, en passant par l'exclusivité client ou fournisseur qui peut limiter le marché. Certains échecs ont été médiatisés, comme celui de Myid.is.certified, une start-up spécialisée dans la certification de l'identité numérique, intégrée dans un consortium avec La Poste pour un test pilote : exclu du consortium après 2 ans de partenariat, le fondateur accuse le groupe français d'avoir ensuite copié son produit. Se pose également la question de l'exit : l'issue n'est pas forcément le rachat et l'intégration à terme et, pour peu que la stratégie produit ou marché de l'investisseur corporate change, il ne sera pas toujours prêt à refinancer l'entreprise. En cas de cession, comment s'assurer que cet associé minoritaire ne biaisera pas la valorisation qu'il soit lui-même acquéreur ou qu'il s'agisse d'un autre, parfois concurrent ? Il faut donc rester vigilant sur l'impact que peut avoir, lors des prochaines étapes, la présence d'un investisseur corporate au capital. Il peut être par exemple préférable de faire entrer un fonds corporate voire "multi-corporate" confié à une société de gestion externe comme Ecomobility Venture (SNCF, Total, Orange, Michelin,...) géré par IdInvest.

Comment éviter les déboires et tirer le meilleur profit ?

Tout d'abord, en limitant le pouvoir de décision de l'investisseur corporate en ne lui donnant, par exemple, qu'un rôle d'observateur et de conseiller au conseil d'administration. En cas de co-développement d'une technologie, les droits doivent bien sûr être clairement définis. Si l'investisseur corporate est un potentiel client ou fournisseur, ce qui est de prime abord un atout, il faut éviter toute forme d'avantage ou d'exclusivité. Un concurrent n'est pas à exclure d'un tour de table : il peut être un investisseur à considérer dans une optique de cession ou de fusion à moyen terme, mais il est bien sûr indispensable de limiter son accès à l'information. De façon générale, l'investisseur corporate ne doit pas imposer sa stratégie, ni pouvoir entraver le développement de l'entreprise innovante.

Si les objectifs sont alignés et les règles clairement établies, le corporate venture est un cercle vertueux où chacun tire profit de la collaboration : la start-up bénéficie du financement et de la puissance du corporate, ce dernier y puise la connaissance des évolutions des technologies et du marché. C'est d'autant plus vrai à un stade de maturité très amont (63 % des opérations des corporate venture sont en "early stage") sur des projets risqués qui nécessitent un investissement massif et sur la durée en R&D. A un stade de développement ultérieur (15 % des opérations en séries D), le corporate venture peut être une alternative à l'IPO. S'il ne fallait citer qu'un chiffre pour conclure : 61,7% des "licornes" ont au moins un groupe industriel au capital.

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