"Le Grand port maritime de Marseille doit gagner en compétitivité" Christine Cabau Woehrel, CEO

Les ports d'Europe du Nord connaissent aujourd'hui une saturation sans égale, synonyme de hausse des coûts pour les donneurs d'ordres. De là à imaginer que Marseille-Fos a une belle carte à jouer pour capter de nouvelles parts de marché, il y a quelques pas... qu'entend franchir la directrice générale du Grand port maritime de Marseille (GPMM). Entretien avec Christine Cabau Woehrel, directrice générale et présidente du directoire du GPMM.
Christine Cabau Woehrel, directrice générale et présidente du directoire du GPMM.

LA TRIBUNE - Quelle est aujourd'hui la zone d'influence du GPMM ? Comment a évolué son hinterland (*) au fil des années ?

CHRISTINE CABAU WOEHREL - Chaque filière a son hinterland. Auparavant, le GPMM cultivait l'identité d'un gros port d'hydrocarbures. Les raffineries constituaient donc des clients importants. Ses infrastructures, ses pipes ne servaient qu'à elles. Les vracs solides, quant à eux, nécessitent d'autres types d'installations. Ils sont reliés par voie d'eau, par le ferroviaire ou le routier. La terminaison de tout cela, ce sont les usines... Enfin, le conteneur est fait pour être transporté dans un système unifié. Il a changé la vision de l'hinterland puisque, en massifié, on peut naviguer très loin. C'est d'autant plus vrai que les navires sont de plus en plus gros et permettent une consolidation des volumes. Et les axes se sont développés peu à peu. On en met en avant deux principaux : l'axe ouest-est, qui va jusqu'au grand sud, et l'axe nord-sud, qui passe par la plaine rhodanienne et le fluvial. Cet axe-là peut aller très au nord. On revendique donc la possibilité d'une entrée nord, mais aussi d'une façade sud, puisque Marseille, avec les ports méditerranéens que sont par exemple Gênes ou Barcelone sont aussi des points d'entrée pour l'hinterland européen.

(Plateforme multimodale du Grand port maritime de Marseille. Crédit : iStock)

Comment concurrencer justement les ports d'Europe du Nord ?

Marseille peut en effet constituer une alternative à Rotterdam en fédérant tout un système portuaire et en travaillant sur cet axe nord-sud. On compte avec de nouvelles opportunités en matière de routes maritimes. Le Fresh Food Corridor, qui part d'Israël (depuis le port d'Ashdod) pour aller jusqu'à Rotterdam en passant par Fos, va voir en 2017 ses tests se poursuivre et s'intensifier. En présentant une notable valeur ajoutée : en prenant la route du tout maritime, on met 14 jours. Si l'on effectue le transfert maritime à Fos et que l'on passe par le ferroviaire, le trajet prend 7 jours de navigation et 2 jours de train. C'est un vrai choix, une réelle alternative permettant de proposer aux donneurs d'ordre des offres plurielles qui vont correspondre à tel ou tel besoin.

Rotterdam qui connaît par ailleurs une réelle saturation...

Il y a 12 millions de conteneurs à Rotterdam. Ce n'est pas tant la partie bord à quai qui est difficile, mais il faut ensuite faire rentrer ces conteneurs, les faire sortir et les acheminer sur des routes qui ne sont pas extensibles à l'infini. Or, une saturation des infrastructures entraîne irrémédiablement une hausse des coûts. Ainsi, le fait de pouvoir utiliser une façade sud non saturée qui dispose aussi d'infrastructures à même de traiter ces conteneurs, peut constituer là encore, pour les donneurs d'ordre, une alternative. Pour ce faire, nous travaillons à la compétitivité du transport de ces marchandises. Y parvenir nécessite une vision forte, globale ; accepter par exemple le fait qu'en matière de logistique, il faille se positionner sur une politique d'offre. Car la marchandise passe, envers et contre tout. Elle n'attend pas qu'une offre plus compétitive soit mise en place : elle passera avec une empreinte carbone plus élevée ou un coût plus prohibitif. Il faut donc que les acteurs se positionnent sur une politique d'offre et non pas sur une attente de la demande.

Concrètement, comment mettre celle-ci en place ?

Cela demande bien sûr de résoudre d'autres problématiques. Sur le plan fiscal, la mise en place, depuis décembre dernier, de l'autoliquidation de la TVA due à l'importation par la loi de finance rectificative de 2016 est une vraie mesure de compétitivité pour les entreprises en France. C'est un gros caillou dans la chaussure que l'on a enlevé. Sur un autre registre, le GPMM participe, avec Medlink Ports, au confortement de l'axe fluvial... Au moment où j'en prends la place de présidente, en janvier dernier, un grand chemin a déjà été accompli dans ce sens. Toutefois, cette plateforme, dont l'ADN est le fluvial, il est pertinent de l'élargir à du massifié, à du ferroviaire. D'où l'idée de créer un véritable corridor dédié au passage et à sa fluidité, rimant avec multimodalité. A noter que, en 2016, on a assisté à une croissance de la demande massifiée. Le ferroviaire, notamment, a poursuivi sa croissance [+ 8% en 2016, Ndlr] avec le lancement de nouvelles offres fer vers Niort et Chalon-sur-Saône en direct par deux nouveaux opérateurs que sont Modal Ouest et BD Rail Services, tandis que Naviland Cargo propose Rennes via Lyon. Une navette fer sera lancée vers Lille en 2017... Mais il est évident que nous ne pouvons pas porter seuls cette vision stratégique. Il faut que cette orientation sur le multimodal soit également portée par tous les opérateurs, ainsi que les institutionnels.

Enfin, pour en finir sur le sujet du fluvial, vous évoquiez également lors du bilan 2016 du GPMM, le lancement de Medlink Safe...

L'idée de Medlink Safe, c'était de faciliter l'utilisation de ce corridor pour les matières dangereuses. Car la réglementation en vigueur rendait le mode fluvial extrêmement complexe à emprunter, en allongeant notamment les délais. On a donc étudié les modes opératoires et Medlink a travaillé avec l'ensemble des acteurs afin de trouver une solution qui permette de surmonter ces contraintes en termes de délais. Ainsi, depuis septembre 2016, les transitaires accrédités [ils sont au nombre de 15, Ndlr] disposent de facilités pour le transport de marchandises dangereuses. En termes de processus logistique, c'est encore un nouveau caillou dans la chaussure qui a été enlevé. Car la philosophie pour mettre de la fluidité, c'est bien celle-là : identifier les points de blocage et voir comment y remédier. C'est un travail qui a été entrepris de concert par les ports français et qui doit se poursuivre.

Propos receuillis par Carole Payrau

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(*) Le terme hinterland est surtout employé dans le domaine du transport maritime. L'hinterland est l'arrière-pays continental d'un port que ce dernier approvisionne ou dont il tire les marchandises qu'il expédie. Il n'a pas de limites rigides : son importance est fonction de sa population et de la situation économique ; son étendue dépend en particulier de la densité et de la qualité des voies de communication qui convergent vers le port. Un même hinterland peut être desservi par plusieurs ports qui sont alors en concurrence. Le choix du transporteur dépend alors des infrastructures portuaires ainsi que de la qualité du service fourni par le port. (Source : Wikipédia)

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