"Pour une souveraineté numérique européenne"

L'Europe a raté la révolution numérique mais dotée de la seconde population mondiale de mineurs de données, elle peut, si elle le veut, se repositionner sur l'échiquier des industries digitales. Il en va de la souveraineté numérique européenne.

Depuis les chocs pétroliers des années 70, le taux chômage serpente peu ou prou autour de 10 % de la population active. On peut s'en plaindre, au regard des chiffres affichés par certains pays voisins, ou se féliciter de sa stabilité, si l'on considère que la population active a accueilli plus d'un million huit cent mille personnes au cours de la dernière décennie.
La mécanisation, l'informatisation, la robotisation et plus récemment l'intelligence artificielle auront été invoqués à tour de rôle pour justifier de notre impuissance.
En dépit de notre incapacité à le réduire, le chômage figure, à juste titre, parmi les thèmes favoris des candidats de tous bords aux élections présidentielles depuis près d'un demi-siècle et les primaires auxquelles nous avons assisté n'auront pas échappé à la règle.
Si l'on veut bien considérer, à la lumière de l'histoire de l'humanité, comme stérile,  toute idée tentant de s'opposer à un progrès inéluctable, force est de constater que le solde net des emplois créés par ce dernier est devenu négatif sur le Vieux Continent.
Cette situation n'est pas une fatalité ; elle est la conséquence de choix calamiteux dans les domaines de l'économie et de son financement, orchestrés par une classe politique qui persiste à penser la société de demain à la lumière d'idéologies nées au 19ème siècle.
Le diagnostic est pourtant d'une accablante simplicité : l'Europe a raté la révolution numérique.

Carburant numérique


Systèmes d'exploitation (Windows, Android, Ios), réseaux sociaux (Linkedin, Facebook, Twitter, Instagram), commerce de biens comme de services (Amazon, AirBnB, Uber, Ebay, Paypal), moteurs de recherche (Google, Bing, Yahoo)... Faute d'un marché primaire doté d'une taille critique suffisante et faute de financement, empêchés par les lois sociales ou relatives aux données personnelles, aucune de ces entreprises n'aurait pu voir le jour en Europe. Quel banquier européen aurait parié sur Amazon dont la rentabilité reste fragile après plus de vingt ans d'activité ? Quel fond d'investissement aurait soutenu Facebook entre 2004 et 2011 lorsque l'entreprise offrait ses services gratuitement aux utilisateurs sans revenus publicitaires ou croirait encore en Twitter quand cette dernière affiche 1,2 milliard d'euros de revenus mais plus de 500 millions de pertes ?
Est-ce une fatalité ? Il suffit de porter son regard vers l'Empire du milieu où fleurissent les Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi et consorts pour se convaincre du contraire.
Est-ce trop tard ? La donnée est le minerai de l'économie du 21ème siècle. Ce gisement inépuisable inlassablement nourri par les internautes fournit le carburant de l'économie numérique. Avec une population estimée à plus de 832 millions(1) et 615 millions d'internautes, le Vieux Continent dispose de la seconde population mondiale de mineurs numériques, juste derrière la Chine et ses 710 millions(2) d'internautes mais loin devant l'Amérique du Nord qui n'en compte que 266 millions(1). Tout spécialiste en intelligence artificielle vous dira que s'il devait choisir, il privilégierait la taille de la base de données à la qualité de l'algorithme supposé les exploiter. Les bases de données constituées dans le domaine de la santé grâce au modèle de couverture sociale devraient doter les futurs champions européens de la biotechnologie d'un avantage concurrentiel décisif.

Transition


Il n'est donc pas trop tard !
Nul ne s'étonnera que Donald Trump se félicite du Brexit et encourage la dislocation de l'Europe. Mais ne soyons pas naïfs, seule une Europe unifiée et des accords commerciaux étroits avec l'Europe de l'Est et demain l'Afrique, peuvent nous permettre de nous repositionner sur l'échiquier mondial du numérique. Il nous faut renouer dans les NBIC(3), avec les ambitions et l'esprit collaboratif qui a prévalu dans l'aéronautique et l'aérospatiale dans les années 70 ou dans la radionavigation à l'aube des années 2000.
L'urgence n'est pas à "taxer les robots". La robotique qui menace les emplois peu qualifiés requiert de la mécanique et son coût ne baisse que marginalement. Il suffit, pour s'en convaincre de visiter un entrepôt Amazon où s'affairent eachers, pickers et packers(4)... aucun robot à l'horizon. L'intelligence artificielle en revanche, n'a nul besoin de mécanique. Son coût est faible comparativement à l'intelligence biologique et menace donc tous les emplois à fort contenus cognitifs. Toutes les professions dont le diagnostic repose sur des informations ou des connaissances sont concernées : médecins généralistes, radiologues, analystes financiers... L'urgence est encore moins à instaurer un revenu universel minimum, idée aussi généreuse que pernicieuse, qui conduira les plus désœuvrés dans les ghettos du monde numérique.

Faire croître


L'urgence commande de poser, sans plus tarder, les fondations aussi nécessaires au marché de l'emploi qu'indispensables à notre souveraineté numérique européenne. En premier lieu, il convient d'instituer une politique volontaire de rétention des cerveaux européens et renforcer les filières de formation dédiées au digital qui assècheront les réservoirs d'emplois peu qualifiés et orienteront les jeunes vers des professions hautement rémunérées. Il faut aussi orienter l'épargne vers des financements adaptés aux nouveaux modèles économiques des startups numériques afin de favoriser l'émergence ou la consolidation d'acteurs stratégiques (réseaux hauts débits, centres d'hébergement, plateformes applicatives, cybersécurité...). La préférence affichée aux solutions européennes pour les marchés publics ne doit plus être un sujet tabou mais un vecteur prioritaire de croissance pour l'industrie digitale européenne. Enfin il conviendra de consolider notre leadership juridique en matière de gouvernance et de régulation des données personnelles.
L'Europe dispose de tous les facteurs clé de succès pour s'imposer dans le digital, ne laissons ni les populistes, ni les conservateurs nous priver de notre souveraineté numérique.   

(1) Internet World Stats - Juin 2016
(2) Centre chinois d'information sur l'internet (CNNIC)
(3) Nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l'information et sciences cognitives
(4) Manutentionnaires pour la mise en rayon, préparateurs de commandes et personnel dédié à l'emballage

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Luc d'Urso est le PDG de Wooxo, startup basée à La Ciotat, éditeur de logiciels permettant de sauvegarder et synchroniser les données.

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