Entretien avec Marc Reverchon, le patron de la Méridionale, à l'issue d'une semaine de grève.

Il ne veut pas s?exprimer sur la problématique SNCM à propos de laquelle il se dit ?non autorisé à porter de commentaires?. Un devoir de réserve qui fait de la Méridionale une victime presque collatérale des déboires de sa partenaire historique sur la desserte maritime de la Corse en délégation de service public. Entretien avec Marc Reverchon, le patron de la Méridionale, à l'issue d'une semaine de grève.

Il ne veut pas s'exprimer sur la problématique SNCM à propos de laquelle il se dit "non autorisé à porter de commentaires". Un devoir de réserve qui fait de la Méridionale une victime collatérale des déboires de sa partenaire historique sur la desserte maritime de la Corse en délégation de service public. Entretien avec Marc Reverchon, le patron de la Méridionale, à l'issue d'une semaine de grève.

Les salariés de la SNCM (region-sud.latribune.fr/Actualites/SNCM-Quel-avenir-au-dela-des-echeances-municipales-_1471.html) et de la CMN ont voté la reprise du travail après plus d'une semaine de grève. Vous avez l'image d'une société extrêmement fiable. En 2011, alors que la situation était particulièrement tendue sur le port, la méridionale n'a pas connu un seul jour de grève. Cette fois, les marins officiant sur vos trois navires - le Piana, le Kallisté et le Girolata - ont rejoint leurs collègues de la SNCM. Qu'en déduire ?

Marc Reverchon : Pour autant, je persiste à dire que les motifs de cette grève ne nous concernaient pas car nous n'étions pas en mesure de répondre aux revendications exprimées justifiant le conflit (le P-d.g de la Méridionale n'a pas non plus répondu favorablement à la demande du secrétaire général des marins CGT de la SNCM, Frédéric Alpozzo, qui lui demandait d'engager, comme Marc Dufour, président du directoie de la SNCM, une action judiciaire contre Corsica Ferries. Il estime que sa société n'est pas fondée à engager une action pour contester l'attribution de l'aide sociale, NDLR). Le Piana a été le premier navire à appareiller de Marseille vers la Corse, après la levée de la grève. Ce jour (vendredi 10 janvier, NDLR), deux navires ont repris le service commercial.

À combien estimez-vous le coût de la grève ?
M.R. : On n'a pas fini de chiffrer. Cela nous a couté à peu près 5 000 passagers et 11 000 ou 12 000 mètres linéaires de fret, ce qui représente une perte de C.A de l'ordre du million d'euros, sans compter que nous risquons d'être sanctionnés pour les traversées annulées puisque le contrat prévoit une réfaction de 30 000 € par traversée non effectuée. Et en un jour, on assure trois services. C'est même un peu plus compliqué que cela car le contrat prévoit une faculté d'appréciation suivant que la nature du conflit a une origine interne et externe. Donc, des débats en perspective avec la collectivité corse. En l'occurrence, où mettra-t-on le curseur ? Est-ce un conflit portant sur l'avenir de la SNCM ou sur le pavillon français premier registre ? C'est pourquoi je dis qu'aucun des motifs évoqués ne nous concernaient. En clair, les blocages dépendaient de causes sur lesquelles nous n'avions pas prise.

Il y a déjà eu des précédents. Comment se sont soldées les négociations avec la collectivité corse vous concernant ?
M.R. : Cela dépend des cas. Le système fonctionne de la façon suivante : à la fin de l'année civile, il y a la production d'un rapport de services et on analyse les écarts entre le programme assigné et ce qui a été effectivement réalisé pour chacun des deux délégataires. Les deux rapports sont bien distincts. Quoi qu'il en soit, les élus corses ont déjà fait savoir qu'ils appliqueraient strictement des réfactions.


Comment évolue votre entreprise dans son activité, qui est exclusivement celui du transport en cargos mixtes entre Marseille et la Corse, par rapport au marché ?
M.R. : On n'a pas encore les résultats définitifs du marché donc c'est encore sujet à évolutions même si les tendances connues à fin novembre sont suffisamment fiables. Aussi bien pour le fret que pour le passager, le marché est en légère baisse, de l'ordre de 4,5 % par an, alors que nous étions sur les 15 dernières années sur une croissance annuelle de 8 % pour le passager et de 4 % pour le fret. Le marché commence à s'essouffler. On peut l'imputer au ralentissement de l'activité. Dans un marché en baisse, nous étions fin octobre en croissance de 3 % sur le passager tandis que nos concurrents - la SNCM et Corsica Ferries - étaient respectivement à - 6 % à - 4 % sachant que pour eux, cela comprend les ports de Marseille, Toulon et Nice. Le marché du roulier (La Méridionale ne transporte que des remorques, NDLR) est sur un trend en baisse de 3 % et on fait - 4 % (la SNCM est à - 9 % et Corsica Ferries est à + 9 %, NDLR). Le port de Marseille est en baisse de 10 %, et Toulon en hausse de 19 %. Le marché est donc fortement impacté par le développement de l'offre à Toulon.

Pour autant, il n'y a pas eu de conflits sociaux significatifs qui auraient pu expliquer un report. Le port de Toulon devient une menace sérieuse ?

M.R. : La SNCM a ouvert une ligne sur Toulon donc l'offre a été augmentée en volume et cela se traduit par un déplacement des trafics entre les deux ports. Les années précédentes, le port Marseille avait gagné des parts de marché. Cette année, il a perdu 10 points tandis que Toulon en a gagné 19. (la SNCM affiche un trafic fret en hausse de 141 % sur un an au départ de Toulon alors qu'elle est en retrait au départ de Marseille de 15 %. Corsica Ferries est également en croissance de 10 % au départ de Toulon. À se demander s'il n'y a pas eu un effet ventouse des chargeurs du port de Marseille vers celui de Toulon. Et qui du coup aurait profité à Corsica Ferries puisque la SNCM n'assure un service qu'un jour sur deux. Mettre une offre à Toulon, n'est-ce pas concurrencer la DSP ? NDLR )


Pour pouvoir satisfaire les exigences de la collectivité corse et surtout s'inscrire dans une enveloppe de compensations financières ramenée à 96 M€, dont 38,5 M€ pour La Méridionale, quels sont les leviers dont vous disposez ?

M.R. : L'enveloppe a été diminuée car la collectivité a sorti de la DSP les trafics estivaux, qui ne sont plus subventionnés. Je rappelle que les 2/3 des passagers bénéficiaient de l'aide sociale, soit une subvention publique de 12 € par personne. Mécaniquement, avec sa suppression, on peut remonter les tarifs. Le reste, on l'a obtenu en revoyant nos coûts. On joue beaucoup sur les techniques de yield management.
Le système pour le fret a été inverse : on a observé une dérive des parts importantes du fret vers Toulon. Pour éviter l'hémorragie, les élus de la collectivité corse ont accepté de baisser les tarifs de l'ordre de 15 % à 20 %. Au lieu de faire payer 1 300 € pour une remorque aller retour, on est à 1 100 €. Ce système permet accessoirement de stabiliser l'économie de la DSP. Faites le calcul : Corsica Ferries détient 25 % de parts de marché, ce qui représente en volume 500 000 mètres linéaires sachant que le mètre linéaire se facture 80 € l'aller retour. Si on peut en récupérer 100 000, cela change la donne !


Et pour les récupérer ...
M.R. : Il faut présenter une qualité de service efficace, un prix économiquement plus intéressant, et aussi, c'est là que l'on télescope avec les événements qui viennent de se produire, une image de fiabilité.

Vous prônez à cet égard une forme de continuité de service. Vous avez d'ailleurs tenté d'assurer le service mais la manœuvre a été interrompue par les grévistes.

M.R. : Je pars du principe, dans la mesure où ce n'est pas une grève totale, que l'on devrait disposer de processus internes qui nous permettraient d'assurer un service avec les non grévistes. Sur le personnel d'exécution, nous étions à 35 % de grévistes ces jours-ci mais avec des variables importantes selon les bateaux. Nous aurions eu les moyens, en droit, d'assurer la continuité. Il ne s'agit pas ici du service minimum (la réquisition en somme) qui est une solution quand le blocage est total. Le cahier des charges de la DSP nous impose un service social et solidaire mais ce n'est pas parce qu'il est inscrit que l'on parvient à le mettre en œuvre. Ce contrat entre la collectivité et les délégataires ne lie pas les organisations syndicales. S'il n'y a pas de dispositif légalement reconnu, on ne peut pas le faire. Dans le transport terrestre, cela s'appelle la loi sur le service minimum.

Vous militez pour qu'il existe dans le transport maritime ?
M.R. : Vous opérez un bus entre Marseille et Aix, vous êtes soumis au service minimum. Vous opérez un bateau dans le cadre de la DSP entre Marseille et les ports corses, ce n'est pas le cas, ce qui est assez incompréhensible. Mais je suis réaliste : je pense que ce n'est pas à la loi de définir les modalités précises d'un service minimum. En revanche, elle devrait simplement signifier, que dans un certain nombre de cas, des accords d'entreprises peuvent être négociés avec une valeur légale, organisant un service minimum.


Est-ce que les événements qui viennent de se produire peuvent relancer le débat ?
M.R. : On explique depuis assez longtemps que la représentation nationale doit s'exprimer sur le dossier. Il y a eu une tentative, il y a trois mois, d'un député corse qui a demandé à ce que le maritime entre dans le dispositif terrestre, ce qui n'était pas complètement farfelu. Il a été très vite débouté. On travaille donc plutôt dans le sens d'une continuité de service pour que les clients ne soient pas, quelle que soit l'intensité de la grève, pénalisés.


La DSP, telle qu'elle est définie aujourd'hui, vous satisfait ?
M.R. : Elle partage, sur une très grande majorité de sujets, la vision que nous défendons d'un service public en revenant aux fondamentaux de la continuité territoriale, à savoir compenser les handicaps liés à l'insularité. Il y a eu au fil du temps un dévoiement des dotations. Effectivement, la mouture du cahier des charges, avec la suppression de l'aide sociale, qui revenait à subventionner les touristes en pleine saison, et le retour à des tarifs de fret plus raisonnables, et les obligations de service public (OSP) afférentes, qui fixent le cadre général du marché, sont parfaitement adaptées au problème posé et répondent de surcroît aux règles européennes. Je rappelle que L'Europe, en cassant le service complémentaire, a validé la conformité du service de base. En cela, c'est dramatique de démarrer cette nouvelle DSP avec un conflit social sachant que les élus corses ont brandi la menace de la résiliation.

Et le montant de l'enveloppe ?
M.R. : Il est ce qu'il est. Et on a signé le contrat. Après, il faudra atteindre les objectifs. Cela crée des droits mais aussi des devoirs.


Comment ajustez-vous votre politique commerciale au regard du caractère particulier de votre marché ?
M.R. : On a une stratégie de différenciation et toutes nos analyses comparatives montrent que l'on a une clientèle composée de CSP +, de seniors et de familles avec enfants en bas âge. Pour nos clients, la traversée n'est pas un moyen de transport mais est déjà en soi un élément des vacances. Quand ils sont à bord, ils sont déjà en vacances. Ce qu'ils attendent, c'est ce qu'ils vont chercher en Corse : de l'authenticité et du calme. D'où notre slogan : "la traversée zen". Les études montrent par ailleurs que l'on a une qualité de service supérieur, dans le domaine de la restauration par exemple et dans l'accueil (la partie à bord représente 10 % du C.A de la Méridionale de 60 M€, NDLR).


Vous souffrez d'un déficit de notoriété. Voire, on vous amalgame avec la SNCM avec laquelle vous avez eu des relations difficiles quand elle figurait à votre capital.

M.R. : Si nous partageons un outil de ventes, nos actionnaires (La Méridionale appartient au groupe européen de logistique frigorifique STEF-TFE), notre stratégie commerciale et nos politiques sont bien distincts depuis la sortie de la SNCM en 2006. Nous avons surtout un déficit de notoriété spontanée de 25 % quand la SNCM et Corsica Ferries sont à 85 % à peu près. Cela tient au fait que notre activité sur le passager est récente et surtout que l'on a longtemps été associé à la SNCM. Jusqu'en 2001, la SNCM avait le monopole sur la Corse, nous n'étions qu'un simple sous-traitant. Ce n'est que depuis que le régime sous DSP que nous pouvons vendre sous notre propre marque. On a notamment beaucoup utilisé l'arrivée du Piana (mis à flot fin 2011, NDLR) pour communiquer davantage. On a commencé à faire des campagnes de communication importantes en affichage et à la TV. On a aussi changé de nom (autrefois Compagnie maritime de navigation) pour adopter la marque commerciale La Méridionale, plus conforme à l'image que l'on veut afficher.


Propos recueillis par Adeline Descamps

* La Méridionale (433 personnes dont 350 navigants), qui n'opère qu'entre le port de Marseille et ceux de Corse, détient 8 % de PDM sur le passager et 35 % sur le fret. Le fret représente 60 % de son CA (108 M€ le passager dont 35 M€ de compensation de continuité territoriale), le solde avec le passager (251 926 passagers).


 


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