Métropole Aix-Marseille-Provence : 4 orientations et 7 chantiers

Un an, jour pour jour, après la première conférence métropolitaine, qui s?était tenue dans un climat de grogne et de boycott des élus, Marylise Lebranchu, la ministre de la réforme de l?État, de la décentralisation et de la fonction publique, s'est rendue à Marseille jeudi 19 et vendredi 20 décembre pour participer aux travaux de préfiguration de la future métropole Aix-Marseille Provence. Elle ne désespère pas de faire rentrer dans le rang les 109 élus qui ne désarment pas.

Quatre orientations et sept chantiers*. Ce sont les deux maîtres mots du "document de convergence stratégique" (lire : de convergence vers une vision métropolitaine partagée) qui été rendu par la mission interministérielle pour le projet métropolitain, pilotée par le préfet délégué au projet Laurent Théry, à l'issue d'une année de consultations auprès de 500 acteurs. Il servira de base de travail aux élus via deux instances : le conseil de la métropole et les conseils de territoire (cf. Aix-Marseille Métropole : Comment cela va marcher ?) pour construire la future métropole qui doit émerger le 1er janvier 2016, et dont les politiques publiques relatives à ses nouvelles compétences (développement économique, emploi, transports, logement, services publics, cohésion sociale, environnement, énergie et qualité de vie) restent à écrire.

Document de convergence stratégique
C'est cette somme de réflexions qui a été présentée ce vendredi 20 décembre au Palais du Pharo à l'occasion de la tenue de la 2e conférence métropolitaine. Dans son discours de clôture, Marylise Lebranchu, ministre en charge de la loi portant notamment l'affirmation des métropoles, a insisté sur le fait que ce texte "n'était pas une fin mais un début" et qu'il appartenait désormais "aux élus de se saisir de ces travaux exploratoires, de se les approprier, de les modifier, de les compléter, de les traduire, dans une politique partagée sur l'ensemble de ce territoire". Sans occulter les difficultés de l'exercice à savoir une invitation au "faire ensemble", ce qui est déjà en soi une tâche complexe compte tenu du peu d'habitudes en la matière (les intercommunalités ont été créées tardivement par rapport à d'autres aires urbaines), dans un calendrier républicain qui CONVERGE vers un scrutin clé pour une bonne partie des élus du territoire. Avec son lot "d'arbitrages délicats, de choix difficiles, de divergences à surmonter, et d'incidents de parcours".

"Outil d'efficacité économique et de lisibilité internationale"
Les termes sont d'Eugène Caselli, président PS de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, qui en dépit de la colère persistante de 109 maires contre le projet (dont certains ne sont même pas concernés, précise-t-il) est un fervent partisan de l'intégration.
Que dit cette base de travail ? De prime abord, des mots en forme d'incantations : "faire mieux avec ce qu'on fait déjà, en le faisant ensemble et autrement en changeant de modèle". Au-delà, elle a pour première vertu d'identifier les maux (une connaissance de l'existant) tout en rappelant l'urgence ("ne plus perdre de temps, ne plus rater d'occasions, et passer au plus tôt du projet aux actes"), qu'il faut rendre compatible "avec une vision qui s'inscrit dans le long terme". Bref, ne pas confondre vitesse et précipitation et concilier l'immédiateté avec un effort de transformation durable.


L'aire métropolitaine d'Aix-Marseille Provence ne va pas bien
On le savait : le premier problème est d'y circuler (selon l'OCDE, les habitants de l'aire urbaine Aix-Marseille ont une mobilité similaire à celle observée dans les villes américaines les plus dépendantes de l'automobile, comme Los Angeles ou Denver, avec un nombre de voitures par ménage de 50 % plus élevé que la moyenne nationale), le deuxième de s'y loger (son marché du logement est parmi les plus inaccessibles en France), le troisième, d'y travailler (avec un poids des jeunes actifs et demandeurs d'emploi plus important).

Défi de la mobilité
Malgré la saturation générale, les déplacements domicile-travail ont encore augmenté de 20% dans les dix dernières années et les grands pôles d'emploi (Marseille, Aix-en-Provence, Aubagne, Vitrolles, Marignane, ZIP de Fos) ne cessent de s'étirer. Ce sera l'un des enjeux de la métropole que de penser un système de transports collectifs structurants à l'échelle des pôles urbains et entre les pôles sachant que les retards accumulés (10 autorités différentes organisent la mobilité dans l'aire métropolitaine !) sont tels que le montant total des projets déjà connus dépasse de loin les capacités actuelles de financement.
Parmi les aménagements immédiatement envisageables : "des voies dédiées aux cars et aux bus, des haltes et connexions sur le réseau, des pôles multimodaux mieux articulés au réseau". Concernant les trois corridors les plus chargés - Aix-Marseille, Marseille-Vitrolles, Aubagne-Marseille, "il est possible de mettre en place une offre multimodale permettant de doubler, en 10 ans, la fréquentation sur les lignes de transports collectifs". Une armature à penser en prenant acte des investissements dont va bénéficier la gare Saint-Charles (l'État s'est engagé, le 12 juillet 2013, à désaturer le nœud marseillais, par la création d'une seconde gare souterraine) qui pourrait ainsi accueillir 20 millions de passagers par an à l'horizon 2025-30 contre 12 actuellement, avec une augmentation de l'offre de 55 % pour les TER.


Fluidité et facilité

Patrick Daher, P-d.g du groupe industriel éponyme, en a assez des petits arrangements entre amis. "Les entreprises n'investiront plus si on a des blocages et des combinazione. Nous avons la chance d'avoir un territoire attractif par sa qualité de vie. En revanche, cette attractivité pêche au niveau de l'employabilité. Je revendique un droit psychologique et moral du travail et la mobilité est un levier". Cette complexité dans les déplacements explique aussi le fait que "nous peinons à attirer des étudiants et des chercheurs de haut niveau, ajoute Yvon Berland, président d'Aix Marseille Université, née de la fusion de trois universités et seul exemple à ce jour de coopération métropolitaine. Nous n'avons ni un réseau de transport performant ni des réservoirs de logement au niveau d'un équipement de dimension internationale". La transversalité "ne doit pas exclure les territoires infra métropolitains car l'emploi n'est pas forcément dans les zones de mobilité", ajoute Nicolas Garnier, directeur territorial de Pôle Emploi dans les Bouches-du-Rhône.
Pour Jacques Boulesteix, le problème est plus global : "ceux qui veulent investir sur ce territoire disent tous la même chose : absence de schéma d'aménagement économique, de mécanismes financiers qui sécurisent les investissements, grand émiettement des responsabilités politiques et des compétences territoriales. Pas de moyens, pas de vision, pas de stratégie", résume-t-il sévèrement. "Il n'y a pas de ligne directrice d'aménagement, pas de vision stratégique sur l'émergence de nouvelles filières", abonde Jacques Pfister. "Chacun fait son rond-point dans son coin", poursuit le président de la CCIMP, citant Éguilles, commune de 7 500 habitants à l'ouest d'Aix-en-Provence dans laquelle il réside, où le rond-point est roi...

seule voie discordante, Patrick Parra, secrétaire général de l'UD CFDT, ne trouve pas "qu'un RER à la façon parisienne saturé à 60 km/h soit un exemple. La qualité de l'emploi et de l'environnement dépendent d'autres facteurs. Je ne comprends pas pourquoi un cadre marseillais va habiter à Aix-en-Provence ni pourquoi un serveur travaillant à Aix-en-Provence est obligé d'aller vivre dans le 15e arrondissement de Marseille. Il faut profiter de cette opportunité pour construire une réflexion plus globale."

Infuser l'innovation
En 2013, un classement international (Innovation Cities Global Index) situait la métropole au 18e rang européen, sur la base de 162 indicateurs d'innovation. Elle est identifiée internationalement pour son potentiel en R&D (Cadarache pour l'énergie, Luminy pour les sciences de la vie, Marignane-Vitrolles pour l'aéronautique, Château-Gombert pour les sciences de l'ingénieur, Rousset pour la micro-électronique, l'Arbois pour l'économie verte). Pour autant, le poids des fonctions d'innovation (recherche, R&D, entreprises de haute technologie, activités créatrices) dans l'emploi métropolitain (10,3 % contre 12,4 % pour les métropoles de taille comparable), tout comme les dépenses en R&D, sont faibles comparé aux autres aires urbaines en France.
En la matière, l'émiettement (gâchis ?) des moyens alloués à l'innovation est à la hauteur de la fragmentation institutionnelle, entre le Conseil régional PACA, chef de file de cette compétence, l'État et ses multiples cadres incitatifs (Investissements d'Avenir, 36 priorités industrielles, Banque publique de financement), l'Europe et les communes et les intercommunalités. Charge à la métropole de mettre tout cela en musique et en efficacité économique. Parmi les actions identifiées comme prioritaires : multiplier sur l'aire "de Living Labs, Fab Labs", en somme des tiers lieux et autres espaces de travail collaboratif et baliser une offre foncière et immobilière pour des des techno-campus industriels "qui combineront des fonctions de recherche, de R&D, de services, d'accès aux données, d'évènementiels, et, grâce à toutes celles-là, de production".
L'ingénierie du projet Henri Fabre (écosystème autour de l'aéronautique), qui nécessite une approche globale et transversale en raison d'une maîtrise d'ouvrage complexe, est à modéliser pour le transférer à d'autres secteurs (numérique, transition énergétique, biotechnologies, naval, chimie). "Les PME impliquées dans les pôles de compétitivité réalisent 50 % de leur C.A à l'international. Pour les garder, il faut un territoire structurant qui permette le passage d'une économie de la connaissance à une économie productive, qui porte une vision stratégique et qui ne soit pas excluant pour une population de jeunes sans qualification", explique Katia Mirochnitchenko, directrice du pôle de compétitivité Optitec.


Reconsidérer le port
AMP loge le 1er port de Méditerranée, le 5e en Europe et le 3e au niveau mondial pour sa pétrochimie, déclame le document. La filière transport et logistique (six grandes plateformes sur le territoire métropolitain) génère plus de 56 000 emplois, soit 9,8 % de l'emploi départemental. La filière portuaire génère de son côté plus de 43 000 emplois dont 55 % dans la filière logistique et professions portuaires. Parmi les trois premières propositions de travail, figure le chantier (déjà avancé !) de transport combiné de Mourepiane, qui vise à mutualiser des flux ferroviaires maritimes et continentaux (aujourd'hui traités au Canet, ce qui permettrait aussi de libérer de l'espace pour Euromed II) sur un site permettant le traitement des trains longs de 850 m et plus. Aussi, il est proposé de compléter l'aménagement de la zone industrialo-portuaire de Fos pour la rendre plus attractive pour les investisseurs internationaux. Et enfin, la définition d'une stratégie logistique, industrielle et portuaire préfigurée pour créer 20 000 emplois supplémentaires. "Les conditions de sa réalisation, réservation foncière, report modal et employabilité, supposent un portage politique fort. Outre les équipements, les infrastructures et les espaces à programmer, cette stratégie pourra tester certaines pistes : la transition énergétique et l'écologie industrielle comme vecteurs de diversification, le déploiement de la métropole fluviale du Rhône jusqu'à Marseille en s'intégrant dans l'étang de Berre, un nouveau waterfront à Marseille du J4 à Arenc avec des activités culturelles, résidentielles économiques et de loisirs".

Que retenir de la journée de débat ?

"Faire mieux avec ce qu'on fait déjà, en le faisant ensemble et autrement en changeant de modèle". Du débat avec la salle, on retiendra les interventions de la société civile qui se demande si elle aura son mot à dire sur la construction de la métropole, douchée par les pratiques de ces dernières années où l'on a glissé "de la concertation à la consultation."

Adeline Descamps


* Mobilités et accessibilités ; Ville-nature ; cohésion sociale et territoriale ; cultures d'innovation ; transition énergétique ; Système logistique et portuaire ; potentiels Jeunesse


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