Thierry Schifano : "L’heure est à la recherche d’un nouveau modèle économique"

Le département des Bouches-du-Rhône, avec sept autres en France, a fait l’objet d’une expérimentation pilote menée par la Fédération nationale afin de moderniser les transports sanitaires. Son président explique pourquoi ces innovations et en détaille les bienfaits.

Pour quelles raisons la Fédération Nationale s'est-elle décidée à moderniser le secteur du transport sanitaire ?

Notre profession connaît des temps difficiles depuis 2008. Nous avons commandé une étude à l'institut Xerfi, qui a notamment mis en exergue une augmentation des volumes, mais aussi une dégradation des performances. Le secteur du transport sanitaire, pour ce qui est des défaillances d'entreprises, s'est vu attribuer la note maximale en termes de risque. Quant à nos marges, elles se sont érodées de 2,3 %. Les raisons de ce décrochage sont à mettre sur le compte de problèmes d'organisation, pointés du doigt par l'étude. Par exemple, le taux de remplissage de nos véhicules n'était que de 40 à 45 %. Ce qui veut dire que dans une journée de travail, seul 45 % du temps est facturé à l'Assurance maladie. Avant 2008, cela ne nous impactait pas vraiment, car l'Assurance maladie le répercutait dans nos tarifs. Chose qui n'est plus possible depuis ces années de crise. Il a donc fallu trouver des modèles innovants, et plus particulièrement un nouveau modèle économique, basé sur l'optimisation. Nous œuvrons donc à cette mutation depuis près de six ans.

Qu'avez-vous mis en place, concrètement, pour impulser cette mutation ?

Nous avons tout d'abord lancé, de façon pilote, la dématérialisation de la facturation. Cela fait un an et demi à deux ans que nous travaillons sur ce projet, qui permet de traiter les dossiers différemment. La dématérialisation recèle plusieurs avantages : le zéro papier tout d'abord, synonyme de fin des courriers postaux, de gain de temps... C'est aussi une mise en relation simplifiée avec les entreprises. Autre atout de cette innovation, elle implique une totale transparence, puisque l'on télétransmet la facture. La prescription médicale, scannée et jointe, aide par ailleurs l'Assurance maladie à prendre connaissance du besoin de transport en temps réel. Elle peut tout aussi rapidement décider si la demande est conforme et recevable. Dernier avantage de ce dispositif, il vise une réduction incontestable des charges... Toujours dans la même volonté de transparence, nous avons également mis en place la géolocalisation du parcours. Il s'agit de tracer celui que va effectuer le patient, de le scanner et de l'envoyer à l'Assurance maladie. Des entreprises de différentes tailles se sont prêtées au test de la dématérialisation de la facturation et de la géolocalisation et selon nos analyses, réalisées au mois de février dernier, les résultats s'avéraient plutôt positifs. Cette nouvelle façon de fonctionner a amené davantage de fluidité, donc d'efficacité dans les process.

Vous avez également lancé depuis deux ans le covoiturage dans les véhicules de transport sanitaire...

Il faut préciser, au préalable, que cette expérience ne concerne que le transport de patients assis... mais oui, c'est un autre des modèles innovants que nous avons lancés. Là encore, il s'agit d'optimiser nos ressources, puisqu'un véhicule de transport sanitaire a une capacité de trois passagers... Et là encore, cela sous-entend une organisation différente, entre l'établissement de soins, nécessairement investi dans l'expérience, le transporteur et le patient. Dans les Bouches-du-Rhône, et plus largement en PACA, 10 établissements se sont prêtés à l'expérience, aux côtés d'entreprises locales du transport sanitaire. Concrètement, il faut en effet croiser les informations afin de savoir quels patients peuvent être pris en charge par covoiturage en fonction de leurs lieux de résidence, leurs dates et heures de rendez-vous au sein de la structure soignante... Il faut déterminer également si leur état médical se prête à cela.

Mais comment réagissent les patients face au covoiturage ?

Très favorablement ! Ce que l'on a pu constater, c'est que le covoiturage offre une meilleure qualité de prestation. C'est un incontestable vecteur de lien social. Les personnes échangent au-delà de la maladie, ils se soudent entre eux et s'encouragent.

Quelles économies ont été réalisées grâce à sa mise en place ?

Le transport covoituré ne revient qu'à 19 euros par personne, au lieu de 32 pour un VSL, et 49 pour un taxi. Trois établissements de l'Ugecam PACA-Corse (Union pour la gestion des établissements des caisses de l'Assurance maladie, NDLR) qui s'étaient portés volontaires pour participer à ce test ont économisé ensemble 160.000 € en un an. Pour l'Assurance maladie, œuvrant avec un budget de 4 Mds€ à l'échelle nationale, dont 2 Mds€ consacrés au transport sanitaire, les économies seraient donc colossales. Selon nos projections, la généralisation du covoiturage sanitaire des patients permettrait de les chiffrer à quelque 600 millions d'euros chaque année. Et du côté des entreprises volontaires, elles sont revenues, quant à elles, à une marge sur coûts directs de l'ordre de 17 à 20 % grâce à ce dispositif.

Vous parlez de généralisation... Pour l'heure, il ne s'agit que d'une expérience pilote. A quelle échelle s'est-elle mise en place, et sous quelle échéance sera-t-elle généralisée ?

Nous avons fait le test dans 8 départements, dont les Bouches-du-Rhône dans le quart Sud-Est. Le moteur de l'expérimentation, c'est bien sûr d'avoir face à soi une caisse primaire, des établissements de soins et des entreprises volontaires, car tout cela nécessite une organisation différente, des outils différents. Jusqu'ici, hôpitaux, Assurance maladie et entreprises de transports travaillaient tous de leur côté et demeuraient dans leur silo. Le nouveau modèle que nous avons impulsé a pour avantage de faire exploser ces silos afin d'œuvrer ensemble de façon plus transversale. Nous ne sommes plus sclérosés... Et nous avons fait la démonstration que cela fonctionne. La prochaine étape, c'est donc la généralisation à l'échelle nationale, sous un délai de 15 mois à deux ans.

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