Pascal Neveux : "Notre façon de mener les projets a changé"

Implanté depuis 2013 dans le quartier d’Euroméditerranée, le Frac PACA fait face depuis lors à de nouveaux challenges. S’approprier le lieu bien sûr, mais aussi réinventer son modèle économique, dans un contexte de gel des subventions. Son directeur revient sur ce changement de cap… mais aussi sur l’évolution de l’écosystème artistique local.

Quel est votre regard sur la scène artistique locale ? Peut-on la qualifier de dynamique ?

On peut la qualifier d'extrêmement dynamique, oui. Avec des cycles dans son histoire, sur les 30 dernières années. Elle a connu des âges d'or, grâce à des structures de premier plan, comme la galerie Pailhas, puis des moments d'essoufflements. Aujourd'hui cependant, il y a à la fois une scène artistique intéressante, et tout un écosystème, complet, propice à son épanouissement : de nombreuses associations, des galeries privées, le monde institutionnel... On compte également une trentaine de lieux de résidence, de production, sans oublier des lieux de monstration qui existent dans toute leur diversité. Dans cet écosystème, il y a aussi, à l'échelle régionale et en comptant Monaco, une dizaine d'écoles d'art, ce qui permet d'avoir un réel vivier d'artistes. Et ils n'existent plus seulement sur la scène locale. Ils s'exposent en dehors de la région... C'est heureux : la pire des situations serait qu'ils restent confinés ici, dans leur microcosme. On peut évoquer enfin la dimension événementielle, avec des rendez-vous aujourd'hui réputés à Marseille. Le Printemps de l'art contemporain, qui débute la semaine prochaine, la foire Art-O-Rama, au mois d'août... Ou encore Paréidolie, salon réservé au dessin contemporain. Ce qui crée une réelle attractivité pour les collectionneurs.

Comment s'est mis en place cet écosystème ?

Il a d'abord été le fait du tissu associatif, militant, autogéré. Tout était organisé par les artistes, qui ont créé leur lieu. Des galeries associatives ont donc vu tout d'abord le jour... Elles travaillaient comme des mini-centres d'art. Les galeries privées ont aussi investi la place. Ce tissu-là a toujours marqué et donné de la couleur artistique à Marseille. Encore aujourd'hui, derrière les expositions des musées, celles du Frac, il y a à la base tout le travail de recherche des galeries associatives, qui ont un réseau très dynamique. La possibilité de trouver dans le Sud de grands espaces, relativement peu cher pour travailler, a contribué également à attirer les artistes, venus d'autres horizons. L'attractivité se met en place, avec cette perspective d'œuvrer dans un tel cadre de vie à 3 heures de Paris.

Avec du recul, quel rôle a joué MP2013 dans tout cela ?

Cette année 2013 a servi de tremplin en termes de visibilité, notamment pour le tourisme. Elle a permis de réécrire une histoire différente : parmi nos visiteurs, plus de 30 % du public est européen. Cette ouverture européenne, c'est du concret. Après 2013, il y a eu un effet soufflet, mais il a rapidement été gommé. Nous sommes sur une dynamique ascendante et perceptible en termes de public.

Justement, le public est-il nombreux à investir vos murs ?

Nous recevons de nombreux groupes. Nous sommes en train de réaliser notre rapport d'activité pour l'année écoulée, et nous nous sommes rendu compte qu'ils proviennent davantage d'écoles d'architecture que d'écoles d'art. Ce qui est nouveau pour nous : la dimension architecturale du bâtiment du Frac, investi en 2013, s'affirme aussi comme un vecteur de dynamisme. Notre arrivée dans le quartier de la Joliette, il y a trois ans, a constitué un temps fort dans notre histoire. Le choix d'un architecte de renom, Kengo Kuma, d'un lieu en hyper-centre constituent un vecteur de communication fort.

Et quid de votre activité, alors que le contexte économique impose d'inventer un nouveau modèle ?

Nous organisons, sur une année, trois expositions dans nos murs, une vingtaine à la proue du bâtiment et plus d'une centaine de projets hors du Frac. Nous avons réalisé 840 prêts sur l'année 2015, avec une collection constituée de 1 100 pièces. Ce qui sous-entend un taux de rotation important. Nous poursuivons dans notre politique d'achat, avec une enveloppe de 230.000 euros dédié aux nouvelles acquisitions. Sur un budget total de 2,5 M€, dans lequel s'engage la Région et l'Etat. Ainsi que la Ville de Marseille, depuis peu et de façon moins significative. La Région, notamment, continue à nous soutenir fortement, elle met le bâtiment, qui lui appartient, gratuitement à notre disposition. Nous n'en payons que les frais de fonctionnement. Le niveau des subventions n'a pas baissé, mais il est au seuil de ce qui peut nous être concédé. Ce qui nous pousse à développer nos fonds propres, et à aller davantage vers l'autofinancement, mettant par là en œuvre un nouveau modèle économique. C'est ainsi que nous avons mis en place une société de amis du Frac, un club d'entreprises partenaires... Nous créons également de la ressource en termes de privatisation de nos espaces. Par ailleurs, la billetterie et le restaurant, faisant partie du Frac, nous assurent aussi des recettes. Ainsi, 10% de ce budget global de 2,5 M€ est généré par nos fonds propres.

Pour en revenir au club des entreprises, comment sensibilisez-vous le monde économique à celui de l'art ?

Le club d'entreprises partenaires est créé depuis un an. Nous en sommes au début de l'aventure ! Il y a pour l'heure 5 à 6 entreprises signataires, se situant à des degrés d'engagements différents, de 1 000 à 100 000 €. Engagements se déroulant sur une période de 3 ans. Avec ces dernières, nous travaillons autour de la question du mécénat, sur ce qu'un Frac peut apporter à une entreprise. Ce peut être prêter des œuvres de la collection, non pas pour tomber uniquement dans la décoration, mais aussi pour entreprendre avec les salariés un travail de médiation, créer les conditions d'une rencontre. Ce peut être encore en organisant des résidences d'artistes en entreprise... Par ailleurs, nous leur offrons aussi la possibilité d'un lieu atypique pour leurs réunions, leurs conseils d'administration. C'est légitime dans ce quartier d'affaires : le Frac est implanté dans un cœur stratégique, et cela plaît aux décideurs. Avec les entreprises, il s'agit donc de compagnonnage, de sur-mesure... pas d'une offre standardisée. La démarche procède d'un échange, d'une discussion pour trouver le meilleur positionnement pour chacune. C'est un travail de longue haleine. Pour ce faire, on a appris à connaître l'écosystème environnant, avec le concours de la cité des entrepreneurs, d'Euromed... Nous sommes donc dans une phase ascendante, alors que la présence de l'art n'était pas acquise. Ceci avec une institution nommée par un acronyme qui ne parle pas à près de 90 % de la population.

Comment analysez-vous ce manque de lisibilité ?

Les vingt premières années, les Frac ont été centrés sur la constitution de leur collection. Par ailleurs la diffusion, essentiellement hors les murs, et de surcroît dans des lieux souvent confidentiels, ne nous a pas apporté une grande visibilité, au-delà d'un cercle d'amateurs. Ce n'est vraiment qu'au bout de 20 ans que s'est amorcée la mise en valeur de la richesse patrimoniale des Frac. Par ailleurs, nous nous situons sur une niche et même si nous faisons de la médiation, tout le monde n'a pas envie d'aller voir de l'art contemporain. A nous donc de renforcer notre communication...

Quels sont donc vos objectifs pour 2016 ?

Nous devons travailler davantage dans la dimension privatisation des espaces. Mais je suis optimiste, car cela a commencé très fort en 2016... Cependant, comme il s'agit d'une petite jauge, notre lieu correspond à des attentes particulières. Lorsque nous n'avons pas la capacité d'accueillir un événement, s'opère un jeu de renvoi entre structures. Nous apprenons donc à travailler ensemble, avec les autres lieux. Autre objectif, continuer bien sûr à soutenir les artistes, notamment par le jeu des partenariats entre le public et le privé. Sachant que l'on n'envisage plus désormais la construction d'une exposition sans y inclure la dimension itinérance. Par exemple, l'exposition Lieven de Boeck, en ce moment dans nos murs, va partir en Belgique à l'automne. On travaille de plus en plus sur cette idée de parcours, afin de trouver le moyen de permettre à l'exposition de gagner en visibilité. Et l'on devient tous coproducteurs d'un projet, dans la mesure où d'autres galeries s'associent à nous. De quoi générer davantage de recettes... Pour revenir sur l'exposition actuelle, elle bénéficie d'un budget qui tourne autour de 150 000 €, alors que nous n'avions, initialement, qu'une enveloppe de 40 000 € à mettre sur la table. Toutefois, ces montages faisant intervenir le public et le privé demandent une anticipation énorme, sur près de 3 ans : les dates d'expositions sont définies très en amont... C'est donc une autre façon d'envisager la programmation, elle est nouvelle pour nous. Tout a changé dans la façon de mener les projets. Au niveau des partenariats avec les musées, les acteurs privés, la dynamique commerciale a pris une autre dimension.

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