Gérard Feldzer, l’ingénieur-rêveur qui esquisse la mobilité du futur

A 74 ans, cet ancien pilote et ingénieur aéronautique s’attelle à penser la mobilité de demain. Un engagement qui passe par la politique mais aussi par l’entrepreneuriat via la création d’une startup et d’un groupe de réflexion, Futura Mobility.
(Crédits : DR)

Difficile de ne pas percevoir son enthousiasme lorsqu'il parle des transports du futur. Front dégarni, cheveux en bataille, regard fixe, il parle de l'avenir comme s'il y était, en rêveur inconditionnel qu'il a toujours été.

Très tôt, le rêve est pour lui un moyen de fuir l'injustice du réel. Son père, immigré venu de Kiev est abattu par les Allemands en 1944 alors que Gérard Feldzer n'a que six mois. Il grandit auprès de sa mère à Paris, habillé par la Mairie, regrettant d'être identifié comme ce pauvre à qui on donne une orange à Noël". A l'école, il n'a rien d'un élève modèle, vendant volontiers ses livres scolaires dès la rentrée. L'école est alors cet endroit où il a "eu du temps pour rêver". Rêver "d'avoir des ailes".

Un vœu rapidement exaucé puisqu'il devient pilote d'avion après des études d'ingénieur aéronautique, suivant l'adage de son oncle Constantin, son modèle : "Si tu peux, vas-y". Adage qui deviendra plus tard le titre son autobiographie.

Aux côtés de Coluche puis de Nicolas Hulot

Car en matière de rêves, Gérard Feldzer n'est pas en reste, notamment lorsqu'il s'agit d'imaginer un monde meilleur. C'est ainsi qu'il se lance dans la politique dans les années 1980, en tant que directeur de campagne de Coluche. "Avec un slogan : La France est coupée en deux, on va la plier en quatre", se rappelle-t-il. Malgré les menaces, il garde le souvenir d'un "grand succès. Comme quoi déjà à cette époque, les gens avaient envie d'autre chose".

Après Coluche, c'est en Nicolas Hulot qu'il place ses espoirs. Il est devenu très ami avec l'ancien présentateur d'Ushaïa pour qui il a conçu et fait voler des engins "qui n'auraient jamais dû quitter le sol" comme l'a une fois raconté l'ancien ministre. Une passion créatrice qui lui vaudra six mois d'hospitalisation en 1994, alors que tous deux avaient entrepris de traverser l'Atlantique en ballon dirigeable à pédales. En 2007 il dirige la campagne de son ami écologiste. Un moyen de se racheter des "160 millions de litres de carburant" qu'il a consommés en tant que pilote, plaisante-t-il. Sans tellement plaisanter.

Ingénieur entrepreneur

Mais son engagement n'est pas seulement politique. Il est aussi entrepreneurial et passe par la création en 2015 d'une startup baptisée Carwatt. "Nous transformons des véhicules diesel en véhicules électriques. On fait ça pour des camions, des voitures, des bateaux..." Et de regretter la lourdeur administrative en la matière, notamment sous la pression des lobbies. "Notre industrie tend à vouloir vendre du neuf, alors que dans les pays comme la Suède, le fait de réparer un appareil ménager est déductible des impôts car cela crée de l'emploi local et prolonge la vie des déchets".

Regarder ce qui se fait ailleurs et s'en inspirer. C'est d'ailleurs l'objet de Futura Mobility, think tank qu'il a créé, censé "prédire l'avenir" à l'horizon 2050 en matière de transport. Une association qui réunit de grands groupes tels que Safran, SNCF ou Alstom, des entreprises "qui ont en commun l'énergie, la sécurité et les nouveaux matériaux. Or avec ça, on fait des trains, des bateaux, des camions, des bagnolesEt ils investissent là-dedans car ils sont conscients que c'est rentable à long terme".

"Le transport donne la température et constitue le squelette de l'économie"

S'il se focalise sur la mobilité, c'est parce qu'il en est convaincu, "le transport donne la température et constitue le squelette de l'économie". Et les enjeux sont pressants. "En 2030, 2 milliards de voitures seront en circulation, contre 1,3 milliard aujourd'hui".

Première phase à venir pour lutter contre les dégâts provoqués par une telle saturation : "l'ère du numérique avec de plus en plus de transports partagés". Une tendance déjà en cours.

A l'horizon 2040, "la question qui se posera sera celle du bon mix énergétique. Il y a les batteries pour les voitures électriques, mais leur fabrication a des limites. En 2030, nous aurons 1 milliard de tonnes de batteries, il faudra des terrains pour les stocker une fois usagées et leurs matériaux sont souvent non renouvelables". Quant à l'hydrogène, " 95 % est fabriqué à partir de gaz et de pétrole actuellement". Il se réjouit cependant des progrès de l'Allemagne en la matière. "On y fabrique de l'hydrogène en cassant des molécules d'eau, avec de l'énergie renouvelable donc". Ce pays compte ainsi 500 stations hydrogène, contre 20 en France.

Construire 2050

Si 2030 et 2040 sont des cartes a priori déjà jouées selon l'ingénieur, 2050 est encore à bâtir. Et de lister, un peu en désordre, les diverses pistes qui s'offrent à nous. "Il y a les routes intelligentes qui produisent de l'énergie. Au niveau du fret, on parle de camions embarqués sur des trains. Cela va se multiplier car il faut anticiper le boom des commandes sur internet qui augmentent de 15 % chaque année. Se pose alors la question de la livraison du dernier kilomètre qui pourra se faire au moyen de drones ou encore de tubes à vide comme c'est déjà le cas pour des pharmaciens lors de la livraison de médicaments". Un système de tubes également à ses balbutiements en matière de traitement des déchets via le transport par pneumatique grâce auquel les déchets sont directement envoyés vers un centre de tri, ne nécessitant plus de camions-bennes. Une innovation lancée récemment à Nîmes ou Barcelone. Et d'embrayer sur les trains faits de fuselage d'avion pressurisé conçus à l'université de Lausanne, un projet nommé Clip Air qui consiste en des avions modulables pouvant se convertir en trains, allant "d'un centre-ville à l'autre en passant par les airs".

Et la région Sud Provence-Alpes Côte d'Azur ne manque pas d'atouts. Gérard Feldzer y observe ainsi un certain nombre de secteurs porteurs tels que "les hélicoptères-avions" ou encore "les systèmes numériques pour la recherche du meilleur mode de transport et pour lesquels Sophia-Antipolis fait référence".

Une révolution en perspective, à condition d'investir. "Pour la transition énergétique, il faudrait consacrer 70 milliards d'euros par an en France", assure-t-il. "Il nous en manque trente à quarante. L'équivalent de ce qui se trouve dans les paradis fiscaux". Des investissements en mesure de ré-enchanter le progrès technique, une mission chère à cet ingénieur qui aime à citer Rabelais : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme".

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