Comment Jouques se mobilise contre le chômage de longue durée

Lancée par ATD Quart Monde et rendue possible par une loi de 2016, l’expérimentation Zéro chômeur de longue durée a été lancée dans dix communes en France, dont une seule en région Provence-Alpes Côte d’Azur, à Jouques, dans les Bouches du Rhône. Un projet porté par tout un territoire, qui veut montrer que le chômage n’est pas une fatalité.

C'est un bâtiment dont les murs ont été posés par Popup house, spécialiste des maisons en bois à faible impact environnemental et originaire de Provence. Un bâtiment dans lequel une cinquantaine de personnes s'affairent à offrir aux 4 400 habitants de Jouques les services dont ils ne disposaient plus jusqu'alors, qu'il s'agisse de recyclerie ou de petits travaux pour lesquels les artisans aixois ne se déplacent pas.

Ce bâtiment, ce sont eux qui l'ont peint, carrelé, aménagé. Eux qui, quelques mois auparavant, faisaient partie de ceux que l'on nomme "chômeurs de longue durée". Une catégorie qui compte aujourd'hui un million de personnes en France et qu'ATD Quart Monde, initiateur du projet "Territoires Zéro Chômeur de longue durée", a voulu aider à sortir de la fatalité.

"C'est une catégorie à part dont le nombre ne cesse d'augmenter", observe Evelyne Juignet, présidente de l'Entreprise locale d'activités nouvelles (Elan) de Jouques. Dans le village, au départ du projet, ils étaient 169 à vivre cette situation. Parmi eux, des découragés, des personnes qui ont connu des difficultés personnelles, sociales, des burn out, des prisonniers d'un cercle vicieux de la pauvreté... et des problématiques propres à la ruralité. Aucune entreprise dans la commune, seulement quelques artisans. Pour travailler, il faut se rendre à Aix-en-Provence, trente kilomètres plus au sud, ou bien à Marseille. Mais onze n'ont pas le permis. Et pour les autres, "travailler pour un Smic à Aix quand il faut payer le transport, la garde des enfants et la cantine, ce n'est pas très encourageant".

Alors lorsqu'en 2016 paraît la loi d'expérimentation qui rend possible le projet, "il fallait vraiment que l'on candidate, explique Evelyne Juignet qui était alors élue municipale. Un comité se met en place pour faire le diagnostic du territoire. Les chômeurs se mobilisent de manière bénévole. Parmi eux, certains qui étaient sortis des radars et ne bénéficiaient d'aucune aide. "Si nous avons pu les inclure dans le projet, c'est grâce à un maillage très fort du territoire". Un maillage qui va de la Caisse centrale d'activités sociales à la pharmacie du coin. Un travail de fourmi qui permet à Jouques d'être retenue pour l'expérimentation, comme neuf autres communes en France.

Un CDI et un Smic pour redonner confiance

Au cœur du projet : Elan Jouques, "une association dont l'objectif est de répondre à l'expérimentation en créant une entreprise à but d'emploi". L'entreprise voit le jour en avril 2017. Au lieu d'être versées aux demandeurs d'emploi, les allocations chômage sont perçues par l'entreprise qui les redistribue à ceux qu'elle salarie en CDI, payés au Smic. On ne parle pas de "recrutement mais d'embauche" car ici, l'accès à l'emploi n'est pas une compétition mais doit être accessible à chacun, selon ses capacités et ses envies, et en lien avec les besoins du territoire. Les salariés sont par ailleurs tenus à une certaine polyvalence lorsqu'il s'agit de prêter main forte à des collègues d'une autre activité.

Parmi les services proposés : la recyclerie où l'on s'attelle à créer de nouveaux meubles à partir d'anciens. Il y a aussi le multi-services, "il s'agit de petits travaux tels qu'installer une barre de rideau, accrocher une étagère...", ou encore l'organisation de visites touristiques. Prochainement, seront ouverts une laverie et un service de duplication de clés.

Le chiffre d'affaire dégagé par ces activités - 180 000 euros en 2019 - est censé financer le fonctionnement de l'entreprise au fur et à mesure que le niveau d'allocations diminuera comme cela est prévu par la loi. Mais les choses semblent plus compliquées, et ce pour plusieurs raisons...

Parmi elles, la contrainte de ne pas entrer en concurrence avec les acteurs locaux, ce qui limite le panel d'activités possibles et ne permet pas de fixer librement les tarifs des services. Par ailleurs, "la première loi n'avait pas prévu l'ampleur des charges à supporter, le loyer, l'électricité, le matériel de bricolage..." Il faudrait aussi financer des formations, et pourquoi pas, espère Evelyne Juignet, des permis de conduire. Mais les moyens manquent, d'autant que les collectivités locales ne sont pas toujours au rendez-vous. Si le projet est très soutenu par la mairie et par le conseil de territoires du pays d'Aix, la présidente d'Elan Jouques regrette que ce projet soit "celui qui est le moins soutenu par son département".

Vers une extension à d'autres communes, avec plus souplesse

D'où le recours au mécénat. C'est ainsi qu'AG2R La Mondiale a permis l'ouverture de l'entreprise grâce à un don de 30 000 euros. "Les mécènes s'engagent car ils savent que c'est un projet qui dynamise le territoire. Cela permet à des gens de développer de nouvelles compétences pour retravailler, ce qui profite aux commerçants locaux mais aussi aux maisons de retraite qui bénéficient des services proposés".

Toquer aux bonnes portes, trouver des alliés, c'est ce à quoi s'évertuent les quelques personnes en charge du projet, parmi lesquelles des bénévoles. Une équipe qui espère voir le projet reconduit en 2020 alors qu'une deuxième loi doit permettre la poursuite de l'expérimentation en même temps que son extension à d'autres communes. Le texte pourrait par ailleurs assouplir les conditions de l'expérimentation et notamment le principe de non-concurrence qui, selon la Dares (Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques) dans son rapport intermédiaire : "pose des questions pour le déploiement des projets". L'institution souligne en outre que "l'investissement initial fait généralement défaut aux structures. Or toute entreprise a besoin, pour fonctionner, d'avancer du capital et d'investir".

Une hausse de moyens que réclame également ATD Quart Monde. Car il s'agit de porter un message fort : le chômage n'est pas une fatalité. A Jouques, 51 personnes ont repris le chemin du travail avant même d'être embauchées par l'entreprise à but d'emploi, leur simple implication en amont les ayant sortis de l'isolement. 59 autres ont été embauchées dans l'EBE, leur assurant une stabilité économique et la reprise d'une vie sociale plus riche.

"Ils ont réappris à travailler en collectif et à trouver leur place dans la société". Ce sont aussi les regards portés sur eux qui ont changé, "surtout depuis que nous disposons du nouveau bâtiment", souligne Evelyne Juignet. Et de se réjouir : "Ils sont devenus la fierté de la commune". Une commune dont Elan Jouques est désormais le premier employeur, devant la Ville.

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Commentaires 3
à écrit le 27/01/2020 à 12:37
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Bonjour Madame Coccinelle, Je n'avancerais pas masquée , je suis Evelyne JUIGNET de l'EBE c'est-à-dire l'employeur entièrement bénévole de la première entreprise de Jouques et à ce titre j'ai été contactée pour répondre aux questions de LA TRIBUNE q...

à écrit le 24/01/2020 à 10:32
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Je me permets de relever un commentaire sur expérimentation "zéro chômeur de jouques" une personne est toujours devant la scène mme Evelyne jugent élue municipale .et les autres personnes qui depuis des années se sont investies dans ce projet.on n ...

le 29/01/2020 à 9:29
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La coccinelle est surnommée "Bête à Bon Dieu" (elle protège les cultures des paysans), je ne sais pas qui vous êtes, mais j'apprécie la reconnaissance de mon humble contribution et de celle de tous les bénévoles à un beau projet social parfois quali...

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