La digitalisation du commerce de proximité a-t-elle vraiment eu lieu ?

L'arrêt brutal de l'activité économique a remis en question les modèles traditionnels, poussant ceux qui hésitaient encore à s'engager dans un virage numérique, par ailleurs synonyme encore pour beaucoup, de terre inconnue. La digitalisation s'est-elle réellement accélérée ? Quel bilan pour les plateformes et initiatives nées au début de la crise ? Quels freins persistent encore ?
(Crédits : DR)

C'est une crise qui a remis - et remet encore - en question business modèle, habitudes, approches du marché et autres certitudes ancrées. En stoppant net l'activité économique dans ses formes traditionnelles, la Covid-19 a totalement chamboulé les acquis. Le virus a aussi joué le rôle de révélateur, montrant là où les points faibles l'étaient vraiment, là où les points forts pouvaient servir de relais aussi.

Si le confinement provoqué par la crise sanitaire a semble-t-il été synonyme, pour le consommateur, de plus forte prise de conscience de la formidable diversité et proximité qu'offrait le commerce de centre-ville, il a été, pour ce commerce-ci, un profond élément de mise à plat du modèle économique.

Le digital, allié et non ennemi

Tous les commerces ont été impactés, à plus ou moins fort degré. Mais ce qu'a révélé le confinement, tous secteurs confondus, c'est l'indispensable appui que constitue le digital. Pour les commerces ayant déjà entamé le virage, être équipés d'outils numériques et surtout de la stratégie qui va avec, a permis de conserver un certain niveau d'activité, voire d'être opérationnel rapidement dans la nouvelle façon de s'organiser. Mais il n'en va pas ainsi pour tous les acteurs du commerce de proximité. Le digital est encore boudé, soit par manque de compétences du dirigeant, soit par déni, méconnaissance... Un ensemble de freins que la crise sanitaire et le confinement ont encore davantage mis en exergue. Jouant peut-être aussi, en même temps, le rôle d'accélérateur.

Car pour faire face à la baisse d'activité, nombre de TPE et PME jusqu'alors récalcitrantes ont du en passer par la case plateforme. Aidées en cela par l'émergence de nombreux outils dédiés. Dont des acteurs spécialisés tel Wizishop. Installée à Nice, elle a "lancé en France le mouvement E-commerce solidaire qui a été repris par d'autres depuis et tant mieux", rappelle Cédric Piazza, son co-fondateur. L'idée étant de permettre aux commerçants qui se sont retrouvés boutique fermée du jour au lendemain de bénéficier de leur propre boutique en ligne, services compris, gratuitement et sans engagement. Une opération qui est d'ailleurs prolongée jusqu'au mois de septembre. A Nice, la ville crée Nice-eshopping.fr tandis qu'Antibes lance AntibesJuanlesPinsShopping.fr. Toutes deux s'appuient sur Whishibam, société parisienne fondée il y a cinq ans par Charlotte Journo-Baur, à l'origine d'une solution de marketplace locale dont l'objectif est de "réconcilier le commerce physique de proximité avec le commerce digital", dixit sa dirigeante. Cannes se dote pour sa part de Shoppeer, application et non plateforme, développée par Blue Beacon, une startup née en 2018, opérationnelle depuis 2019 après plusieurs mois de R&D, accompagnée à CréaCannes. Evidemment actrice du sujet, la CCI Nice Côte d'Azur ajoute également sa pierre à l'édifice avec moncommercantestformidable.fr, développée d'ailleurs en partie avec Wizishop ainsi que le collectif KetchupMayo, faisant intervenir pour l'une ses premières missions, sa filiale Carabacel Conseil.

Accroître la complémentarité

Quatre mois après le début du confinement, deux mois après le déconfinement et une reprise plus ou moins entière des activités, que reste-t-il de ce mouvement forcé vers le digital ? Les verrous - notamment psychologiques - ont-ils définitivement sauté ? L'intégration du digital dans le business modèle du commerce de proximité est-il acté ? Car l'enjeu est majeur. Selon les données fournies par la CCI Nice Côte d'Azur, seuls 1 000 commerces sur les 22 000 établissements que compte les Alpes-Maritimes, ont pu maintenir une activité partielle durant le confinement. Et c'est une perte de 2,4 milliards d'euros qui est mesurée avec plus de 3 000 emplois menacés.

Pour Cédric Plazza, l'accélération est réelle. Et mesurable. "Au total, et à ce jour, plus de 600 commerçants physiques ont fait la démarche pour bénéficier de notre solution e-commerce. Ils sont en très grande majorité basés en France métropolitaine même si certains sont issus des Dom-Tom, de l'Afrique francophone, de Suisse et du Luxembourg. Ils représentent tout type de commerce : des fleuristes, des jardineries, des boutiques de mode, du snacking aussi et de la restauration, lesquels se sont appuyés sur notre plateforme pour proposer une solution de driveC'est un des premiers constats que l'on peut tirer de cette crise, l'accélération de la digitalisation des commerçants physiques qui ont franchi le pas, soit par obligation, parce que le digital constituait le dernier levier à leur disposition pour poursuivre leur activité, soit parce qu'ils avaient déjà cette démarche en tête, l'épisode du confinement ayant servi de déclencheur à sa mise en œuvre. Avec réussite pour certains, comme cette boutique de bouquets de fruits, variante du bouquet de fleurs, qui a généré en deux mois plusieurs dizaines de milliers d'euros de chiffre d'affaires."

"L'enjeu est stratégiquement fort, d'autant plus après le confinement pendant lequel les consommateurs ont changé leurs habitudes d'achat". Et Charlotte Journo-Baur de citer une étude selon laquelle 80% des cyber acheteurs du confinement déclarent vouloir continuer sur cette voie. Dans ce cadre, "en achetant sur une plateforme locale comme la nôtre, le consommateur vient en aide aux commerces physiques, l'acte d'achat devient un acte citoyen".

Avec son application - et non une plateforme - Shoppeer est justement l'outil qui vient en complément. Car l'idée de départ de la startup n'est pas de permette la vente dématérialisée mais au contraire de favoriser, grâce au numérique, le flux des clients vers les boutiques physiques. Soit une solution digital-to-store qui vise à aider les 73 % de consommateurs effectuant leurs achats en ville. C'est le confinement qui oblige Blue Beacon et Grégory Biondi, son dirigeant, à faire de l'application un moyen de recenser les établissements - près de 400 durant le confinement - offrant un service de livraison. Depuis la reprise de l'activité, Shoppeer a redevenu cet outil qui grâce aux balises apposées encourage la fréquentation du commerce local, le consommateur pouvant, par le biais de filtre, personnaliser son parcours. "Le digital ne fait pas disparaître le commerce de proximité. Il est bien sûr complémentaire et contribue à l'attractivité des centres-villes ainsi que du territoire", commence Grégory Biondi, qui après le bassin cannois devrait se développer sur une plus grande partie du territoire maralpin.

Marketing digital, marketing territorial aussi

Nice, Antibes Juan-les-Pins, Cannes-Lérins... jusqu'au village de La Colmiane, nombreuses sont les collectivités à avoir succombé à l'appel des marketplaces locales. A Carros, l'association Cap Carros a ainsi organisé pendant le confinement une campagne de crowdfunding sur la plateforme Tudigo qui lui a permis de récolter 6 000 euros afin de lancer une place de marché dédiée aux commerces locaux qu'elle espère effective à la fin de l'année. A Cagnes-sur-Mer, la fédération des commerçants et artisans caresse de nouveau l'idée de relancer un projet identique, mis en sommeil par le passé faute de mobilisation. "Tous ceux qui sont restés ouverts pendant cette période se sont rendus compte de l'importance du service clients, de la livraison, du click & collect. Je pense que ceux-là ne reviendront pas en arrière parce que le consommateur y a pris goût, c'est commode, c'est devenu un besoin maintenant", relève son président, Jean-Michel Cloppet.

Du côté de la CCI Nice Côte d'Azur, le discours en bien celui-là. Outre l'accompagnement lors du déconfinement au maintien des gestes sanitaires en fournissant des kits de protection et bandes de distanciation au sol, on est bien conscient que l'enjeu réside dans l'acceptation du digital comme outil complémentaire à l'activité physique. "Le marketing digital est la clé de tout", insiste Peggy Misiraca-Teychene, directrice Appui aux Entreprises et Territoires. "Il est nécessaire d'utiliser les outils digitaux, ils permettent de conserver le lien et donc de générer du business. Le confinement a fait gagné du temps, il a joué le rôle d'accélérateur, les commerçants qui ne l'étaient pas sont convaincus de la nécessité d'avoir recours aux outils digitaux. Mais c'est maintenant qu'il faut transformer l'essai. La CCI Nice Côte d'Azur sait les accompagner individuellement et collectivement. Les plateformes d'e-commerce sont une accroche qu'il faut transformer en un mouvement durable. Souvent les commerçants sont dotés d'outils qu'ils ne valorisent pas. Une véritable acculturation demeure à faire, notamment sur l'usage des réseaux sociaux".

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