Julien Musso – Smart Profile : "La souveraineté numérique pose les mêmes problématiques que la relocalisation industrielle"

Faire en sorte que les algorithmes soient issus d'entreprises françaises est d'une importance aussi capitale que celle qui concerne la nécessité de médicaments ou de composants électroniques fabriqués sur le sol hexagonal. Il en va de la gestion de la data et donc, par effet de ricochet, de la capacité à maîtriser l'IA qui demain, prendra le relais de certaines tâches. C'est le discours – et le cheval de bataille – du fondateur et PDG du spécialiste de data marketing, basé à Sophia-Antipolis.
(Crédits : DR)

C'est le sujet qui a émergé de la crise sanitaire : la France, devenue trop dépendante en matière industrielle, devait absolument relocaliser une partie de son industrie sur le sol hexagonal, ou a minima européen. La baisse des impôts de production, annoncée par Bruno Le Maire, vise précisément à faciliter cela...

S'il émerge ici et là, le sujet de la souveraineté numérique n'est, en revanche, pas encore perçu comme un sujet urgent, sujet dont les entreprises - mais pas que - doivent s'emparer.

Pourtant, il revêt les mêmes causes et donc engendre les mêmes fâcheuses conséquences que le départ d'une large partie de l'industrie tricolore vers les cieux asiatiques.

Et alors que les GAFAM sont de plus en plus critiqués et montrés du doigt, la question d'un numérique européen ou française suffisamment fort pour être indépendant est bel et bien là.

Choix risqués

C'est tout le discours et tout le cheval de bataille de Julien Musso. Pour le dirigeant de Smart Profile, basée à Sophia-Antipolis, il s'agit d'un enjeu majeur, encore trop ignoré.

Laisser les données être hébergées à l'étranger c'est ne pas se rendre compte que ces mêmes données, précieuses, pour le code ou le développement d'algorithmes, ne sont pas bleu-blanc-rouge. Avec toutes les conséquences que cela suppose.

"Demain, les algorithmes vont reprendre certaines tâches effectuées jusqu'alors par l'homme. Qui développe quoi ? Qui va maîtriser cela ? On veut avoir la main ! Ou est-ce que l'on favorise les algorithmes israéliens, américains ou chinois ?", pose Julien Musso, donnant l'exemple d'un algorithme américain utilisé en oncologie et qui pousserait à faire en sorte que "la médecine ne soit plus française".

Car il faut rappeler que la majorité des entreprises hexagonales hébergent leurs données dans les clouds AWS (Amazon) ou Azure (Microsoft) et que ces mêmes données sont soumises au Patriot Act comme au Cloud Act. "Ces choix me paraissent risqués".

Ne pas délocaliser, même le développement

Ce sont donc aussi à elles, entreprises tricolores, "de jouer le jeu. De considérer des solutions pertinentes qui existent en France, car c'est aussi ici que se crée l'emploi de demain", insiste Julien Musso. Qui cible aussi les entreprises qui se revendiquent françaises mais qui a installé ses développeurs à l'étranger, en Inde notamment. "Le développement doit aussi se faire en France", même si le coût de la main d'œuvre est moins onéreuse en Inde. Voilà une problématique qui rappelle furieusement ce qu'à justement connu l'industrie : délocaliser pour un coût de main d'œuvre moins élevé. "Nous n'avons pas su anticiper cela", déplore encore le dirigeant sophipolitain.

"La réalité du marché c'est que d'héberger ses données en France au même tarif que les solutions américaines ou chinoises, est quasi-impossible. Les grandes entreprises issues du secteur des telecom n'ont pas la souplesse des GAFAM".

Ce manque sur le marché hexagonal provient aussi d'une incapacité, dit Julien Musso, celle "à ne pas réussir à financer les entreprises prometteuses, ces startups capables de devenir des licornes".

Autre constat. "Sur le marché de l'emailing, il existe pléthore d'acteurs mais beaucoup n'ont pas pris le virage de la data, de l'IA". Et aussi, "nous n'avons pas de culture internationale, comment scaler, comment aller chercher du chiffre d'affaires à l'extérieur ?"

Avoir une culture du code

Autre problématique identifiée, celle de l'éducation : "nous devons avoir une vraie culture du code, des algorithmes, de l'IA. Les savoirs de demain doivent être inculqués tôt, davantage en amont, inculquer les fondamentaux avant le bac".

Le combat vaut aussi pour le fameux transfert de technologie et les liens à créer avec les laboratoires de recherche. Si les mentalités évoluent, dans le concret, on en n'est qu'aux balbutiements. "Il reste compliqué de travailler avec les labos de recherche. Nous avons, en France, de très bons chercheurs mais il n'existe pas de lien fort avec les entreprises". Et sur ce point, Julien Musso sait bien de quoi il parle, lui qui a mis douze ans avant de pouvoir nouer un partenariat avec l'INRIA. "Les entrepreneurs savent les besoins du marché, ceux de demain. Pour que la R&D des labos soit utilisée, il faut créer des liens avec le secteur privé. N'oublions pas que les GAFAM sortent des labos de recherche".

L'intérêt qui se concrétise actuellement sur l'ordinateur quantique laisse entrevoir un espoir. Reste ensuite à ce que les débouchées soient possibles vers le secteur privé. Souveraineté numérique, souveraineté industrielle, même combat ?

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