Tadé, la Syrie et l’art du bain méditerranéen

Installée dans le Var, la marque de cosmétiques commercialise des produits de venus des quatre coins de la Méditerranée, avec un attachement particulier pour la Syrie et son savon d’Alep. Fortement impactée par la guerre, la PME a dû se diversifier et commence à reconstruire sa chaîne de production dans le pays du Levant.
(Crédits : DR)

Il est reconnaissable à son odeur, mais aussi au vert intense qui se révèle en son cœur lorsqu'on le découpe. Huiles d'olive et de baies de lauriers. Eau. Soude. Quatre ingrédients et une recette qui a traversé les millénaires. "Le savon d'Alep était utilisé par les Sumériens, les Asyriens ... tous ces peuples de la Mésopotamie", raconte Thaddée de Slizewicz, fondateur de l'entreprise. Une fois mélangés et chauffés, les ingrédients sont touillés une douzaine d'heures avant d'être étalés et légèrement séchés. Puis les savons sont façonnés à la main. Ils sont ensuite stockés le temps qu'ils sèchent complètement. "C'est ce séchage qui fait la valeur du savon, un peu comme le parmesan". Neuf mois minimum, au terme desquels naît un produit redoutable contre les problèmes de peau.

Une couleur, une histoire et des vertus qui séduisent Thaddée de Slizewicz, alors qu'il passe quelques années en Syrie en tant que géographe. De retour à Toulon, au milieu des années 1990, il veut importer les produits de l'art de vivre syrien. Il tente d'en commander quelques-uns et le succès est immédiat. Il fonde alors Tadé et est fier d'être parmi les premiers à avoir faire connaître le savon d'Alep en France.

"Puis nous avons élargi la gamme avec des produits transverses : des boues, des gants de toilette, de la pierre ponce, de la verrerie soufflée et également du pneu recyclé". D'une apparence proche du cuir, ce matériau est souvent utilisé en Syrie où il a remplacé la paille. Plus robuste, moins coûteux, il sert tant à la cueillette des fruits et légumes qu'à leur présentation dans les souks. Il est aussi utilisé pour puiser l'eau dans le désert. Des produits fabriqués sur place par des artisans, sur-mesure pour Tadé qui veut y imprimer sa patte, tout en les adaptant aux usages de son marché européen.

Faire face à la guerre

Mais en 2012, la Syrie est frappée par la guerre. "Nous avons perdu notre approvisionnement mais aussi des relations qui étaient devenues amicales. Une bonne douzaine de nos fournisseurs ont disparu". En attendant que la situation s'apaise, tout en conservant les liens qu'il lui reste sur place, l'entreprise accélère sa diversification vers des produits venus d'autres pays méditerranéens, une démarche qu'elle avait déjà un peu initiée auparavant.

Argan du Maroc, Néroli de Capri, Jasmin du Nil : "Nous travaillons avec la majorité des pays méditerranéens". "Nous nous attachons à garantir la provenance de nos produits. Notre savon d'Alep vient bien d'Alep, même chose pour notre sel de la Mer morte", complète Véronique Christophe, chargée de marketing. Une façon d'assurer la qualité des produits face à la forte concurrence venue de l'Est de l'Asie, et de se positionner par conséquent sur un marché de niche. "L'import de produits artisanaux venus de Méditerranée est encore peu développé".

Trois marques, trois canaux de distribution

Un marché dont les débouchés sont atteints par trois canaux, chacun incarné par une marque. Tadé d'abord, qui propose 140 références de produits et accessoires de bain. "C'est une marque transversale qui met en avant l'authenticité et la qualité". Elle est vendue par des "distributeurs sélectifs", dans des boutiques de senteurs ou de décoration comme la Grande Epicerie de Paris ou les Arcenaulx à Marseille.

Avec Alepo Soap, l'entreprise cherche à toucher un public plus large auprès des jardineries, drogueries et pharmacies. Parmi les revendeurs : Truffaut, Botanic, Eureka ou encore Zodio. "La présentation de la marque est plus simple et les prix sont plus accessibles. Ici, les clients cherchent avant tout la fonctionnalité. Le prix est la clé d'entrée".

Enfin, la dernière en date, créée il y a deux à trois ans, est Tadé Home, dédiée aux produits ménagers. "Nous proposons du savon en paillettes pour la lessive, du liquide vaisselle, du détachant..."

Trois marques qui ont permis à la société de réaliser un chiffre d'affaire de 2,8 millions d'euros en 2018. "Avant, c'était bien plus. Les cinq années de guerre nous ont mis en difficulté. Nous avons retrouvé de la croissance en 2017. Et 2018 a été une année de transition".

Recréer de l'emploi en Syrie

Une transition pour préparer l'avenir, et qui a nécessité d'investir pour agrandir l'entrepôt. De quoi laisser suffisamment d'espace de stockage pour les produits qui devraient prochainement rejoindre le catalogue. "Nous continuons à étoffer notre portefeuille avec des cosmétiques qui correspondent soit à une matière première, soit à un procédé de fabrication propre à un pays méditerranéen". Des produits qui s'accompagneront d'efforts accrus de communication, en ligne notamment, avec de possibles recrutements.

Mais Tadé n'oublie pas la Syrie. "Nous ne l'abandonnerons jamais". L'entreprise est ainsi adhérente de l'association Les Baroudeurs qui œuvre auprès des victimes de la guerre et aide à reconstruire le pays. "La paix est revenue à Alep", explique Adeline de Slizewicz, épouse de Thaddée, de retour du pays. "Il n'y a plus de checkpoints intramuros. La communication est plus fluide. Nos fournisseurs reprennent la production, le contrôle qualité, l'emballage. Mais il faut encore faire face aux coupures d'électricité et à la pénurie de main d'œuvre". Car les hommes de 18 à 42 ans ont pour l'essentiel été mobilisés pour l'armée de réserve. Certains reviennent, petit à petit. "Notre objectif est de recréer de l'emploi là-bas. Le pays en a plus que jamais besoin".

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