Marc de Gibon, PDG Cuddl'Up : “Notre vision du marché était la bonne mais nous n'avons pas su l'exécuter"

Créée en juin 2015, la foodtech originaire de Nice a définitivement tiré sa révérence en février 2019 après près de quatre années d’existence. Une expérience sur laquelle Marc de Gibon, fondateur de la jeune pousse, a accepté de revenir. Et où il est question de succès fulgurants mais aveuglants, d’un marché en mutation, de modèles économiques et de pivot, d’accélération et de survie. La vie d’une startup en somme...
(Crédits : DR)

Présentez-nous Cuddl'Up ?

Cuddl'Up a été créée en juin 2015 pour adresser le secteur de la restauration avec une solution digitale clé-en-main, multiplateformes (appli mobile, tablettes, bornes à l'entrée du restaurant, tables tactiles et connectées), à partir de laquelle les clients pouvaient par exemple commander et payer directement et ainsi vivre une expérience de consommation personnalisée et améliorée puisque le caractère anxiogène de l'attente (d'une table, d'une commande, d'une information, etc.) était gommé. Le restaurateur pouvait ainsi travailler sur sa satisfaction client tout en bénéficiant d'un outil de gestion et d'analyse lui permettant d'augmenter son chiffre d'affaires en moyenne de 28%. Le concept a vite séduit puisque trois mois après sa création, nous avons signé un premier pilote chez Hippopotamus, puis deux mois plus tard, auprès d'une nouvelle chaîne, Max à Table, qui avait vocation à grandir. Ce qui nous a permis de clôturer un premier exercice de 4 mois avec un chiffre d'affaires supérieur à 100 K€.

Tout partait donc très bien... Que s'est-il passé ?

Je crois que le problème est là justement. Tout est allé trop vite. Ce premier succès a masqué les faiblesses de notre solution et la réalité du marché sur lequel nous arrivions. Sans doute trop tôt. Nous nous sommes concentrés sur le développement pour nos clients sans voir que nous ne réussissions pas à vendre ailleurs et que les deux early adopters que nous avions trouvés étaient probablement les deux seuls de France à être partants pour le modèle que nous proposions. Nous n'avons pas eu l'intelligence, ou plutôt l'expérience, de réagir tout de suite, de dire stop, on se pose, on réfléchit à ce qui cloche et comment y remédier.

Qu'est-ce qui pêchait dans ce modèle ?

Le coût d'acquisition essentiellement. Acheter une solution complète logicielle à plusieurs de dizaines de milliers d'euros avec un modèle locatif maintenance par mois élevé, plus du matériel, plus du support, c'est un modèle génial quand on s'appelle SAP ou IBM et que les clients sont aussi gros que soi, c'est un modèle qui ne peut exister quand on s'appelle Cuddl'Up et que les clients sont les brasseries du coin. Nous avons donc pivoté courant 2016 pour proposer un modèle à la performance en prenant le risque de l'investissement à la place des clients car, grâce à nos deux premiers contrats, nous avions des chiffres à présenter. Mais là encore, même si nous avons recommencé à vendre, nous étions trop tôt sur le marché et probablement, à ce moment-là, au mauvais endroit.

C'est-à-dire ?

En ce qui concerne l'univers de la restauration, c'est plus simple de démarrer à Paris où il y a 25 restaurants au m², un taux de rotation très élevé et, à l'époque, un tissu économique en pleine mutation. Car jusqu'à il y a encore trois ans, le métier de restaurateur était un métier de passionnés, d'artisans. Aujourd'hui, la plupart des micro-chaînes ou des enseignes qui émergent en Europe ont été lancées par des jeunes diplômés d'écoles de commerce qui ont une approche très économique de la restauration. Cette mutation, parce que nous avions le nez dans le guidon, parce que nous n'étions pas au plus près de sa pulsation, nous a échappée. Et puis, il faut bien dire ce qui est, si le réseau des fonds d'investissement français connaît très bien les startups parisiennes, il n'en est pas de même pour celles basées au-delà de l'intra-muros.

L'écosystème français en général et azuréen en particulier n'est-il pas à la hauteur ?

Je ne dis pas ça ! Au contraire, la France est une terre propice à la création de startups. Il existe beaucoup d'outils pour se pré-financer, pour se faire accompagner et pour supporter sa croissance. Je pense à Bpifrance, à des enveloppes comme Paca Invest, aux structures d'accompagnement à l'instar de BA06 que l'on a intégré avant même l'immatriculation de la société ou encore le CEEI de Nice. Ils ont fait le job. Ils nous ont aidé à pivoter, à réagir, à aller chercher du marché. Après, on ne peut pas demander à une organisation locale d'être aussi puissante que Techstars (accélérateur américain, NDLR) qui brasse des centaines de millions de dollars de budget. L'échelle n'est pas la même.

Justement, Cuddl'Up a été accompagné à l'automne 2017 par l'accélérateur Métro porté par Techstars...

Notre modèle à la performance et notre tempérament ont en effet permis à Cuddl'up d'être repérée par l'accélérateur Métro by Techstars dont nous avons rejoint la troisième promotion en septembre 2017. Ce fut une très belle expérience. Techstars nous a dédié un DAF, un social média, un marketeur... en trois mois, nous avons fait le boulot de trois ans. Cela nous a permis de gagner une dizaine de clients supplémentaires mais la vague de clients Métro qu'on espérait pour démontrer la pertinence de notre nouveau modèle et dérouler notre plan de développement, nous ne l'avons pas eu. Et ce, parce que les équipes commerciales de Métro France ne sont pas assez mûres pour supporter une accélération de startup. Alors qu'en Allemagne, pour les entreprises qui fonctionnent et qui ont démontré qu'elles étaient capables de livrer, cela marche très bien. Après cela, nous avons continué en mode survie jusqu'au dépôt de bilan, en février 2019. Nous étions alors encore six personnes.

Pas de levée de fonds salvatrice ?

Eh non, par contre nous avons opéré deux tours de table auprès de business angels pour un montant total de 150 000 €. Tenir quatre ans, monter à treize personnes avec si peu de moyen en poche, cela me fait penser que nous n'avons pas fait tant d'erreurs que cela.

Si c'était à refaire ?

Je pense que je le referais mais deux ans plus tard, à Paris et en travaillant beaucoup plus non pas mon produit mais mon approche du marché. Les exemples récents du marché montrent que notre vision était la bonne mais, prenons notre part de responsabilité, nous n'avons pas su l'exécuter. Ce qui nous a tué, c'est notre incapacité à générer du chiffre d'affaires. Clairement. Il nous a peut-être aussi manqué le petit coup de chance qui va bien.

Avec le recul, que retenez-vous de cette aventure entrepreneuriale ?

Très honnêtement, à titre personnel, que du bon. Oui, c'est vrai, cela n'a pas toujours été facile, on ne s'est pas payé tous les mois, il y a eu des problèmes de banques, de salariés, d'actionnaires, mais c'est epsilon comparé à ce que l'on peut apprendre et grandir quand on fait ce métier-là. D'ailleurs, je continue à l'exercer au sein de la structure innovation d'Amadeus que j'ai rejoint en tant qu'intrapreneur CEO d'une startup interne, Feasy, dont le seul actionnaire est Amadeus. Elle évolue dans le domaine de la conciergerie digitale pour les voyageurs. C'est un projet très prometteur, capable de transformer un marché.

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