Entreprises : comment anticiper les difficultés à venir ?

Largement impactées par cette crise sans précédent, beaucoup d'entreprises ont pu bénéficier de l'ensemble des dispositifs de soutien de la trésorerie à court terme pour passer ce premier cap difficile. Mais le temps de la crise risque d'être un temps long. Le dirigeant doit l'anticiper dès maintenant et connaître les outils de protection des entreprises en difficultés qui existent et qui peuvent l'aider à sortir de l'ornière.
(Crédits : DR)

Avec le début du déconfinement, dans les semaines et les mois qui viennent, toute l'attention des entreprises sera focalisée sur la reprise de l'activité. Depuis mi-mars, l'Etat français a joué le jeu de manière rapide et efficace pour éviter la crise de liquidités, en mettant en place des dispositifs de soutien à la trésorerie. Reports de charges, garantie et prêts Bpifrance, fonds de solidarité, et surtout le PGE (Prêt garanti par l'Etat) octroyé de manière assez généreuse par les banques.

Cette sérénité à court terme permet aux entreprises d'avoir les yeux rivés sur la reprise d'activité. Le soulagement d'avoir survécu risque de primer sur la prudence. La trésorerie, confinée jusque-là, sera largement absorbée pour relancer l'activité. Alors que certains secteurs sont déjà sinistrés (tourisme, CHR, BTP...), nombre d'entreprises qui penseront être tirées d'affaires pourraient être rapidement confrontées à des difficultés qui, mal anticipées, risquent de mettre leur survie en péril. Il faudra "éponger" une dette (financière, sociale, fiscale, etc.) qui a gonflé, dans certains cas, de manière vertigineuse. Dans quelques mois, avec le "mur de la dette", une crise de solvabilité risque de succéder à la crise de liquidités.

Définir la difficulté

A quel moment une entreprise devient une entreprise en difficulté ? Quand elle a du mal à faire face à ses échéances de dettes (fournisseurs, salaires, emprunts, traites, etc.). Beaucoup de dirigeants se voilent la face, mais "tirer" sur ses fournisseurs est déjà la preuve que la société est en difficulté depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. La loi a défini l'état de cessation des paiements, qui fait basculer une société en "dépôt de bilan". Selon le Code du Commerce, c'est lorsque "l'actif disponible ne permet plus de couvrir le passif exigible". L'actif disponible est la trésorerie utilisable, y compris les lignes de crédit et les découverts non utilisés. Le passif exigible est constitué des paiements que les créanciers sont en droit d'exiger immédiatement qu'ils soient financeurs, fournisseurs, organes publics ou, bien sûr, salariés. Pour résumer, toutes les dettes échues. La cessation des paiements, que le chef d'entreprise est obligé de déclarer au greffe du Tribunal enclenche automatiquement des procédures collectives, redressement judiciaire ou, si la situation est irrémédiable, liquidation judiciaire. Il existe néanmoins des solutions en amont.

Anticiper, clé principale

L'anticipation est bien sûr la clé. Dans le contexte de sortie d'une crise inédite, beaucoup d'entreprises risquent d'être en sous-performance le temps que l'activité revienne à la normale. Il faut relancer. Avec l'obtention des mesures de soutien de trésorerie, certains auront l'impression d'être en sécurité, d'avoir les moyens de cette sous-performance. Comme avant, beaucoup se focaliseront sur leurs résultats sans tenir compte des autres éléments qui impactent et impacteront la trésorerie. A commencer par le besoin en fonds de roulement qui traduit le décalage entre le paiement des fournisseurs, pour des charges ou des stocks, et l'encaissement du chiffre d'affaires. A l'exception de certains secteurs, plus le chiffre d'affaires augmente, plus le BFR aussi. Et, bien sûr, les dettes d'exploitation ou financières contractées pendant la crise devront être remboursées.

Avant qu'il ne soit vraiment trop tard, il existe des solutions qui permettent au dirigeant d'être accompagné dans un cadre légal. Si l'entreprise n'est pas encore en cessation des paiements et que la crise est ponctuelle, le mandat ad hoc, procédure confidentielle, permet au dirigeant d'être assisté par un mandataire ad hoc dans la négociation de délais supplémentaires de paiement avec les créanciers ou la recherche de financements. Si une solution est trouvée, le Tribunal de Commerce, saisi pour l'occasion, constatera la fin du mandat. Sinon, la procédure pourra "muter" vers une procédure de conciliation. Le conciliateur assiste là aussi le dirigeant dans la négociation d'un accord avec les principaux créanciers de la société. La société peut être en état de cessation des paiements, mais depuis moins de 45 jours. L'accord trouvé entre les parties et approuvé par le président du tribunal de commerce peut rester confidentiel ce qui permet de ne pas affecter les relations de l'entreprise avec des partenaires non-parties. Cependant, les créanciers, en particulier les banques qui apportent un nouveau financement, peuvent, pour bénéficier de privilèges liés à ce nouvel apport de fonds, souhaiter une homologation de l'accord par le Tribunal de commerce et donc sa publication.

Dans le cadre de ces procédures amiables, le dirigeant reste totalement aux manettes de l'entreprise, le mandataire a un rôle d'assistant, au contraire des procédures collectives (sauvegarde et redressement judiciaire) qui limitent le pouvoir du dirigeant, mais sont plus protectrices.

La procédure de sauvegarde intervient avant la cessation des paiements. Elle suspend les poursuites à l'égard des entreprises et de leurs dirigeants (recouvrement, caution personnes physiques), "gèle" le passif et autorise la résiliation de contrats. Le dirigeant continue de gérer l'activité, mais avec des limites : certaines actions sont interdites ou soumises à autorisation. L'objectif est de construire un plan permettant la poursuite de l'activité, la préservation de l'emploi et l'échelonnement du remboursement du passif gelé. Ce plan de sauvegarde, défini par le dirigeant et l'administrateur judiciaire, est validé par le tribunal de commerce. Il constitue un engagement juridique du dirigeant : en cas de non-respect, la résolution du plan peut être prononcée, entrainant la suppression des délais de paiement accordés.

La procédure de redressement judiciaire est similaire à la procédure de sauvegarde, mais l'état de cessation des paiements est avéré (depuis moins de 45 jours). Après une période d'observation, le dirigeant et l'administrateur judiciaire peuvent présenter deux types de plan : un plan de continuation de l'activité, avec prévisionnel d'activité et échelonnement de la dette gelée, ou un plan de cession de l'entreprise. Dans ce dernier cas, une procédure d'appel d'offres est lancée par l'administrateur pour chercher des repreneurs. Si la poursuite de l'activité est impossible, le tribunal placera la société sous liquidation judiciaire. L'activité prend alors fin, les actifs étant cédés pour régler tout ou partie des créanciers.

Eviter l'effet domino

Ces mesures de prévention des difficultés, bien que perçues de manière négative, sont réellement destinées à protéger les entreprises, leur activité et leurs salariés. La meilleure solution reste néanmoins d'anticiper. Comment ? Avant tout par un vrai pilotage de l'entreprise. Ce n'est pas une règle absolue, mais un grand classique : les entreprises qui se retrouvent en difficultés n'avaient pas les bons outils de pilotage de la trésorerie, voire pas d'outils du tout. Réaliser un plan de trésorerie fiable est d'ailleurs presque systématiquement la première étape d'une mission de restructuration financière. Celle qui permet de prendre des mesures d'urgence et de faire des arbitrages à court terme avant d'évaluer la capacité de l'entreprise à rebondir. Être bien accompagné est également important. Le banquier, qui voit les flux de trésorerie, est souvent le 1er à s'alarmer. Parler à son expert-comptable ou son avocat, ou même contacter en amont le président du tribunal de commerce, peut permettre de trouver des voies de retournement.

La crise actuelle aura un impact à long terme pour nombre d'entreprises. Anticiper permet aussi de protéger ses partenaires : la perte d'un client ou d'un fournisseur stratégique peut être une cause majeure de difficultés. Dans un contexte de fragilité économique générale, le risque d'un effet domino des défaillances pourrait être dramatique.

*Caroline de Decker est directrice financière externalisée à Lyon, Alexandra Golovanow est directrice financière externalisée à Nice

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