Les quatre clefs du "new deal" social

Le "new deal" social nécessite un juste arbitrage des quatre piliers de la réussite : justice, bienveillance, dignité et performance. La justesse de l’arbitrage peut même être mesurée.
(Crédits : DR)

Qui dit "new deal" suppose un alignement des intérêts des parties en présence : actionnaires, encadrement, employés. Mais est-il vraiment raisonnable d'envisager un tel alignement dans un pays où les revendications sociales ressemblent à des guerres de tranchée ? L'objectif pour tous les protagonistes semble en effet trop souvent consister à tirer la couverture à soi. Dans cette logique de jeu à somme nulle, il y a confrontation entre ceux qui veulent extorquer des avantages et ceux qui veulent en céder le moins possible.

Face à cette vision très archaïque qui met en présence des soi-disant "exploitants" et des "exploités" qui sont forcés de vivre ensemble parce qu'ils ont mutuellement besoin de l'autre, peut-on imaginer une alternative ?

L'alignement des intérêts n'est pas une utopie

Commençons par l'intérêt des actionnaires : ils veulent maximiser la performance de l'entreprise qui leur assure la pérennité de leur investissement et de leurs revenus. Ils attendent donc des cadres qu'ils auront recrutés une maximisation de la performance. C'est d'ailleurs souvent l'évolution de la performance qui détermine (plus ou moins bien) la rémunération des cadres. Il apparaît ainsi sans surprise que l'intérêt des cadres est aussi la maximisation de la performance.

L'engagement fait converger les intérêts de part et d'autre

Il a par ailleurs été abondamment démontré que des collaborateurs engagés augmentent la productivité et les profits. Selon PwC, cette amélioration peut même atteindre 35%. Il en résulte que l'intérêt des dirigeants et des actionnaires consiste à avoir des collaborateurs engagés. Sans cela, ils se priveraient d'une performance optimale, ce qui affecterait tristement leurs revenus. Pour savoir s'ils ont la performance optimale, les actionnaires et dirigeants devraient évidemment mesurer le niveau d'engagement des gens qui livrent la performance en question. Sans cela, pas moyen de vérifier que le niveau de performance affichée est optimal, parce que livré par des collaborateurs réellement engagés.

La bonne nouvelle est que les collaborateurs ont aussi intérêt à être engagés. En effet, pour qu'ils le soient, il faut que certaines conditions soient remplies.  Comme il serait absurde qu'ils s'investissent pour l'entreprise sans y trouver leur intérêt, ces conditions doivent évidemment servir leurs intérêts. On ne peut en effet pas espérer que les collaborateurs donnent le meilleur d'eux-mêmes s'ils ne sont pas traités équitablement. Idem s'ils perçoivent une absence de bienveillance ou si leur activité n'est pas porteuse de sens. Il en est enfin de même si, ayant peur, ils ne se sentent pas en sécurité. En mesurant le niveau d'engagement, on mesure par la même occasion et indirectement le sentiment de sécurité et d'équité, la perception de bienveillance et du sens.

Un monde plus juste fondé sur l'équité et la bienveillance

L'équité et la bienveillance sont complémentaires. L'équité nécessite une gouvernance qui fait respecter la justice en assurant le sentiment de sécurité. Pas seulement la justice comme respect de la loi mais celle qui assure surtout que les choses sont faites de manière "juste". Sans un mécanisme qui protège des abus de pouvoir, la peur est inévitable. La mise en place d'un dispositif de justice interne qui assure la sécurité psychologique des collaborateurs est donc dans l'intérêt des actionnaires et de la direction. Ce n'est pas de la science-fiction et je connais des organisations qui ont mis en place avec succès une telle gouvernance.

Comme on ne peut pas espérer non plus que des collaborateurs s'investissent s'ils ont le sentiment de ne pas être traités avec bienveillance, il apparait que la bienveillance est un deuxième prérequis pour obtenir leur engagement. Pour obtenir des collaborateurs engagés, il est ainsi nécessaire que, en complément de la composante "justice" susmentionnée, la bienveillance soit également ancrée dans la culture et les comportements.

Pour s'engager, il faut aussi une activité porteuse de sens. Il appartient aux cadres de s'assurer que c'est le cas et que le travail effectué soit source de fierté. Ce peut être le cas de presque n'importe quelle activité, y compris les plus pénibles. J'ai vu d'autres gens heureux faire un travail qui me paraissait très ingrat. Ce qui comptait plus que l'activité elle-même, c'était d'être bien traités et, surtout, avec dignité. Des gens dont la dignité n'est pas respectée ne seront jamais engagés. Faire un "bullshit job", un travail dépourvu de sens est indigne.

Malgré les apparences, les collaborateurs ont aussi intérêt à ce que la performance soit au rendez-vous. Elle est indispensable pour assurer la pérennité de leur emploi. Elle contribue aussi à leur fierté. Il est évidemment plus gratifiant et motivant de travailler pour une entreprise dont la réussite est reconnue que pour celle qui est perçue comme un canard boiteux.

Le "new deal" social repose aussi sur la mesure de l'engagement

Hormis des emplois strictement "alimentaires", il apparait ainsi qu'un haut niveau d'engagement des collaborateurs apparait comme le dénominateur commun qui sert les intérêts de toutes les parties en présence : les actionnaires, les cadres et même les collaborateurs qui ne seront engagés que si on a fait le nécessaire pour qu'ils se sentent bien et en sécurité.

Il n'y a pas de recette unique pour obtenir l'engagement. Il appartient à chaque cadre de trouver parmi tous ces leviers le mix qui lui convient et qui est en phase avec ses valeurs et ses croyances.

A la recherche d'un équilibre social plus juste

La seule chose qui est certaine est que, quel que soit le mix, le "new deal" social doit inclure un juste arbitrage des quatre clefs : justice, bienveillance, respect de la dignité de chacun mais aussi performance. Pour vérifier si l'arbitrage est bon, il faut impérativement compléter la mesure de la performance par celle du niveau d'engagement. Attention toutefois : la plupart des organisations qui pensent mesurer l'engagement le font avec des enquêtes de climat qui ne sont pas les plus appropriées pour réellement mesurer le niveau d'engagement des collaborateurs.

Le "new deal" social est donc manifestement à portée de main. Il requiert peu d'ajustements. La mesure correcte du niveau d'engagement en est un prérequis puisqu'elle valide la pertinence de l'arbitrage des quatre clefs. Les réaménagements du travail imposés par la pandémie représentent ainsi une belle opportunité d'introduire ces ajustements pour repartir sur des bases plus gratifiantes pour tout le monde.

*Entrepreneur, professeur, auteur de bestsellers et de "Les leviers de l'engagement", Raphaël H Cohen est directeur académique de la spécialisation leadership entrepreneurial du EMBA de l'Université de Genève

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Commentaire 1
à écrit le 28/05/2020 à 21:17
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N'importe quoi et lieux communs. Au passage, en novlangue du 21e siècle, bienveillance signifie harcèlement moral et incitation au suicide, vérifiable tous les jours en entreprises, pour celles qui n'ont pas fermé, ou dans la fonction publique.

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