Les thérapies non médicamenteuses personnalisées pour rendre Alzheimer plus supportable

Créées par le docteur Thierry Bautrant dans les Bouches-du-Rhône, ces thérapies permettent de diminuer l’occurrence de troubles de comportements chez les malades atteints d’Alzheimer. Une méthode soutenue par l’ARS.
(Crédits : DR.)

"Madame Rossi*. Troubles du comportement : cris et agressivité au moment des soins. Elle ferme les yeux tout le temps", énumère assidûment la psychologue en blouse bleu nuit. Thérapies mises en place : aménagement de l'environnement et réminiscence". "La dernière fois", interpelle une aide-soignante, "elle écoutait la musique, elle chantait, elle était souriante et gardait les yeux ouverts". « Qu'aime-t-elle ? " interroge alors le médecin, curieux. "Julio !" répondent en cœur quelques soignantes, "Julio Iglesias". "Très bie"n, conclut le docteur Thierry Bautrant, on a une nouvelle thérapie. Est-ce qu'on peut demander aux familles d'apporter des musiques qu'elle aime ?"

Assise en cercle dans une grande salle de l'Ehpad "Le Domaine de la source" dirigé par le psychiatre Thierry Bautrant près de Marseille, l'équipe évoque un par un les cas de patients atteints par la maladie d'Alzheimer dont les troubles du comportement sont difficiles à gérer - car si le déficit de mémoire est bien connu, celui-ci s'accompagne quasi-systématiquement de troubles du comportement tels que l'agressivité, les déambulations nocturnes, les fugues, ou encore la dépression. Un rituel hebdomadaire dans cet Ehpad qui applique les thérapies non médicamenteuses personnalisées (TNMP), un concept conçu par le docteur Bautrant. "Nous récupérons des méthodes existantes que nous personnalisons. L'idée, c'est d'arrêter de faire de l'animation. Nous cherchons le trouble et agissons dessus en nous basant sur l'histoire du malade".

L'histoire du patient au cœur de la thérapie

Une personnalisation indispensable à la réussite des thérapies comme l'a soulevé l'étude française Etna 3. "Cela fonctionne à condition de connaître l'individu par cœur", insiste le psychiatre. Exemples de thérapies : la réorientation thérapeutique qui consiste à renforcer les repères personnels, cela peut aller d'une modification de la lumière à l'adaptation de la tenue du personnel ; la méthode Montessori, il s'agit là de ne pas mettre la personne en situation d'échec, de développer ce qu'elle sait faire en fonction de ses capacités résiduelles ; ou encore la thérapie par les sens. L'Ehpad du "Domaine de la source" a par exemple installé un Snoezelen, une pièce qui fait la part belle aux sensations du résident au travers d'effets de lumière, de musique, d'odeurs et de fauteuils massants.

"Pour trouver la bonne thérapie, il faut environ un mois", explique Christelle, aide-soignante. "Parfois, il arrive que les choses ne se règlent pas", reconnaît-elle. "Mais sur le nombre de personnes que nous traitons, c'est une petite part".

Des thérapies soutenues par l'ARS

La méthode reçoit le soutien de l'Agence régionale de santé qui a financé une expérimentation au sein de la maison de retraite du docteur Bautrant, à Roquefort-la-Bédoule puis une autre en cours dans 21 Ehpad en région, à hauteur de 200 000 euros par établissement sur deux ans. Un investissement qui s'explique par la réussite de la première expérimentation dont les résultats seront publiés prochainement et dont il ressort que les troubles ont effectivement diminué grâce à ces méthodes. Ainsi, le nombre d'épisodes d'agressions physiques ou d'agitation a chuté de 84 % en journée, les déambulations nocturnes de 65 %.

Résultat : une amélioration de la qualité de vie des malades, mais aussi du personnel et des aidants familiaux. "Selon nos premières observations, même si c'est sur un petit échantillon, on observe une baisse des risques psychosociaux, de l'épuisement du personnel et de l'absentéisme qui sont un vrai problème dans les Ehpad", explique Jean-Marie Pingeon, médecin inspecteur de santé publique à l'ARS. "Dans l'Ehpad du docteur Bautrant, il n'a été relevé quasiment pas de turn-over, alors qu'il est très élevé ailleurs". Et le personnel de l'Ehpad de confirmer, "Avant de venir travailler ici, je ressentais beaucoup de frustration, je ne pouvais pas faire ce que je pensais être bon avec les résidents. Ici, nous courons toujours autant, mais on court après quelque chose. Cela donne du sens à notre travail".

Autre avantage de la méthode selon l'ARS, "l'utilisation moindre de psychotropes, ce qui réduit les coûts et les phénomènes de dépendance". Aussi, "les thérapies non médicamenteuses personnalisées n'impliquent pas d'immobilisations matérielles importantes", explique le docteur Pingeon. "Le matériel est peu coûteux. C'est surtout la formation qui importe. Celle-ci permet d'améliorer la compréhension des troubles, ce qui offre une montée en compétences pour le personnel et c'est valorisant".

En attendant de nouveaux traitements

Alors que la ministre de la Santé vient d'annoncer le déremboursement des médicaments contre la maladie d'Alzheimer, les TNMP offrent une alternative. "La Haute autorité de la santé a expliqué que ces médicaments avaient un service rendu minimal avec des effets secondaires assez graves", rappelle Thierry Bautrant.  "Je n'ai rien contre les médicaments", précise-t-il, "mais ils ne doivent pas se résumer à de la contention chimique". Avec un taux de réussite de 30 % à 40 %, les TNMP font même un peu mieux que les médicaments actuellement sur le marché.

Car pour l'heure, un véritable traitement contre la maladie semble assez lointain. "On n'a pas encore de médicament qui réduise la vitesse de propagation de la maladie", explique le psychiatre. "Les recherches fondamentales s'intéressent aux anticorps pour lutter contre les plaques amyloïdes à l'origine de la maladie. Mais cela a été mis en suspens à cause du retrait de laboratoires. On se dit que l'optique des plaques amyloïdes n'est peut-être pas la meilleure. Une autre piste concerne la protéine tau qui entraîne des troubles neurodégénératifs. Les recherches s'y orientent".

En attendant, Thierry Bautrant tente, avec le soutien de l'ARS, de répandre sa méthode partout en France grâce à des conférences ou la publication de livres sur le sujet. L'expérimentation dans 21 Ehpad en Provence-Alpes Côte d'Azur pourrait lui servir d'appui. Les résultats devraient être connus d'ici deux ans.

*Le nom a été changé

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